Bezhad, qui se dit ingénieur, a quitté Téhéran avec deux collègues dans un vieux 4x4 pour rejoindre un village reculé du Kurdistan. Ils ne connaissent pas la route, qui serpente à flanc de montagne, et craignent de se perdre. Heureusement, Fahzad, un enfant est envoyé à leur rencontre. S'ils sont attendus par certains habitants, tous ignorent la raison de leur visite. En complicité avec l'enfant, qui est son guide, Bezhad fait croire qu'il est venu chercher un trésor.
Le citadin oublie son appareil photo à la terrasse du café local, où la tenancière l'interroge sur sa venue. Il semble avant tout vivement intéressé par Mme Malek, une femme quasi centenaire et malade. Il passe et repasse devant sa maison, observe le manège de la famille et des femmes du village qui s'occupent d'elle ou lui offrent de la nourriture. Peut-être attend-il sa mort et n'est-il là que pour faire un reportage sur des rites funéraires locaux, pendant lesquels des pleureuses se scarifient le visage en signe de deuil.
Bezhad reçoit plusieurs appels de ses employeurs, qui s'impatientent. À chaque fois, il est obligé de se rendre à toute allure en voiture au cimetière qui surplombe du village, pour améliorer la réception sur son portable. Là, parmi les tombes, il dialogue avec un ouvrier qui, depuis la galerie qu'il creuse, lui lance un tibia humain. Bezhad le garde comme un trophée.
L'attente se prolonge. Pour avoir du lait, Bezhad suit dans une étable obscure une jeune fille qui trait une vache. Il ne verra pas son visage, pas plus qu'il n'a vu celui de Yossef, l'ami de la jeune fille avec lequel il l'a surpris une fois. Il lui lit un poème, le vent nous emportera, de Forough, une femme poète qui comme la jeune fille a fait peu d'études. Il fait d'autres rencontres qui le mettent en phase avec la vie du village, puis apprend que Mme Malek va mieux.
Ainsi, après quinze jours d'attente, les collègues de Behzad, apparemment moins concernés que lui par leur mission, restant le plus souvent cloîtrés dans leur chambre ou allant dans les champs pour voir les paysans et manger des fraises, le mettent en demeure de prendre une décision.
Bezhad se fâche injustement contre Fazhad qu'il accuse d'avoir trop parlé à ses collègues et de les avoir découragés par ses propos optimistes sur la santé de Mme Malek. Puis il file pour la quatrième fois sur la colline où ses employeurs se font pressants pour qu'il revienne travailler à Téhéran. De dépit, Behzad retourne une tortue sur le dos. De retour village, il tente de se réconcilier avec Fazhad. Mais le téléphone sonne à nouveau et, pour la cinquième fois, on le voit grimper sur la colline en 4x4. Il sauve la vie de Yossef, l'ouvrier du cimetière, pris dans un éboulement. Il rencontre à cette occasion un médecin qui n'a pas de patients et qui parcourt la région en moto en philosophant. Bezhad constate que ses deux collègues ont quitté le village et s'en sont retournés à Téhéran.
Le matin suivant, Behzad décide de quitter le village à l'aurore. S'attardant pour une dernière cigarette devant la maison de Mme Malek, il entend des lamentations qui indiquent la mort probable de celle-ci. Il rejoint tout de même sa voiture pour quitter le village non sans prendre en photos la procession des femmes qui se rendent probablement dans la maison de Mme Malek pour la veiller. Sorti du village, il nettoie son pare-brise avec l'eau du ruisseau. Apercevant le tibia derrière le pare-brise, il le jette dans le ruisseau. L'os est emporté par le courant.
Venu filmer l'agonie d'une vielle autochtone dans un petit village perché du Kurdistan iranien, un citadin sans état d'âme et très pro, se laisse traverser par ce monde coupé du monde et changer par la douceur des paysans qui l'accueillent
D'un sujet potentiellement édifiant, le maître iranien Kiarostami tire un film sensuel et espiègle. Tandis qu'une agitation à suspense teintée d'un cynisme macabre, semble désigner la mort comme point de fuite du récit, le cinéaste amorce délicatement un mouvement contraire, d'ouverture et de réchauffement. Le vent nous emportera devient un éloge impromptu du temps à perdre, un manifeste insolemment épicurien.
La méditation sur la mort perd tout caractère pesant "La voiture allait vers les hauteurs et elle a rendu l'âme". Probablement, Kirostami sait-il que l'on ne peut parler de la mort frontalement et que le détour par la poésie est nécessaire. Détour et chemin en Z que, cinq fois, emprunte Bezhad. La technologie moderne, le portable, la tranché pour les télécommunications, rejoignent l'archaïsme, le cimetière, les os, le croque mort cher à Shakespeare. A la fin, les femmes travaillent, un vieil homme du village vient fermer le champ de la rue d'entrée du village. Behzad, régénéré, lave le pare-brise de sa voiture et rend l'os au ruisseau qui l'emportera.
Au fil de cette histoire de conversion, plusieurs séquences étonnent par leur audace, pour peu que l'on songe à la menace de censure islamique qui pèse sur tout réalisateur iranien. Il en va ainsi d'une vigoureuse tirade féminine sur le troisième travail des épouses après ceux de la journée et du soir. Il en va ainsi de la discussion avec le médecin sur la mobylette où il est affirmé qu'il faut préférer le présent à la vie future incertaine "C'est de loin que le tambour paraît mélodieux".
Jean-Luc Lacuve le 19/12/2006
Bibligraphie :
Le poème de Forough :
Si tu viens chez moi, o bien-aimé
apporte-moi la lampe et une fenêtre
à travers laquelle j'observerai la foule de la rue heureuse.
Dans ma nuit si brève hélas, le vent a rendez-vous avec les
feuilles.
Ma nuit si brève est remplie de l'angoisse dévastatrice
Ecoute ! Entends-tu le souffle des ténèbres ?
De ce bonheur, je me sens étrangère.
Au désespoir je suis accoutumée.
Ecoute ! Entends-tu le souffle des ténèbres ?
Là dans la nuit, quelque chose se passe.
La lune est rouge et angoissée.
Et accrochés à ce toit
qui risque de s'effondrer à tout moment,
les nuages, comme une foule de pleureuses,
attendent l'accouchement de la pluie.
Un instant, et puis rien.
Derrière cette fenêtre
C'est la nuit qui tremble.
Et c'est la terre qui s'arrête de tourner.
Derrière cette fenêtre,
un inconnu s'inquiète pour toi et pour moi.
Toi, tout verdoyant pose tes mains
-ces souvenirs ardents-
sur mes mains amoureuses
et confie tes lèvres repues de la chaleur de la vie
aux caresses de mes lèvres amoureuses.
Le vent nous emportera.
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