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L’autre côté de l’espoir

2017

Genre : Drame social

(Toivon tuolla puolen). Avec : Sherwan Haji (Khaled), Sakari Kuosmanen (Wikström), Ilkka Koivula (Calamnius), Janne Hyytiäinen (Nyrhinen), Nuppu Koivu (Mirja), Simon Al-Bazoon (Mazdak), Tommi Korpela (Melartin), Kati Outinen (l'amie de Wikström). 1h38.

Helsinki. Wikström, la cinquantaine, quitte sa femme alcoolique et prépare sa reconversion. Il sillonne les routes comme représentant de commerce pour des chemises mais rêve d'ouvrir un restaurant. Il négocie la vente de son stock de chemises pour 30 000 euros

Dans le port d'Helsinki, la nuit, des machines extraient la cargaison de charbon des cales d'un cargo. Dans l'une de ces cales de charbon s'extrait Khaled, couvert de suie. Il récupère son sac et descend du navire. Il croise la voiture de Wikström puis se rend à la gare pour se doucher dans les toilettes publiques. Propre et bien habillé, il demande au gardien de lui indiquer le chemin du commissariat. Syrien, il vient demander le statut de réfugié. Il est enfermé dans un cachot où il rencontre Mazdak, un réfugié irakien.

Wikström se rend à la porte d'un casino où le portier lui indique un tripot de poker où l'on joue de grosses sommes d'argent. Toute la nuit et jusqu'au petit matin, Wikström joue et gagne 600 000 euros, notamment grâce à une couleur qui l'emporte contre un carré d'as.

Mazdak et Khaled intègrent un centre de réfugiés. Devant la fonctionnaire chargée d'examiner sa demande, Khaled explique son parcours. Sa maison a été bombardée à Alep. Il a fui avec sa jeune sœur, Miriam, passant de Turquie en Grèce puis en Roumanie. Les frontières se sont fermées et il a perdu de vue sa sœur. Il est retourné en Roumanie où il a été battu puis libéré puis a rejoint la Pologne. Sur un port polonais, il a été pris à partie par des nationalistes qui l'ont tabassé et jeté évanoui dans le cargo. C'est donc par hasard qu'il se retrouve en Finlande. Mais la description que lui en a faite un marin à bord lui a fait comprendre que c'était un bon choix.

Wikström voit un agent immobilier qui lui vend le restaurant La chope dorée. Il doit reprendre le portier, Calamnius, le cuistot, Nyrhinen, et la serveuse stagiaire, Mirja. L'ancien propriétaire et l'agent immobilier s'empressent de toucher leurs 250 000 euros. Le propriétaire promet de payer les salaires en retard mais prend tout l'argent qu'il peut : celui du tiroir-caisse et des pourboires et s'engouffre dans un taxi pour l'aéroport.

Khaled voit sa demande d’asile rejetée : la situation d'Alep n'est pas considérée comme désespérée. Khaled décide de rester malgré tout. Il assiste à un concert de nuit et se fait prendre à partie par trois nazillons de "l'armée de libération de la Finlande". Il serait battu à mort, ou même brûlé vif, si des marginaux ne prenaient sa défense.

Wikström n'a pas le moral. Le restaurant vend surtout des bières mais la carte du cuistot semble n'intéresser pas grand monde. En sortant les sacs poubelles de bières, Wikström trouve dans l'arrière-cour Khaled endormi auquel il demande de déguerpir. Après un échange de coups de poing, il l’emploie dans son équipe de bras cassés.

Une visite des services de l'hygiène se passe sans trop de dommage : cuisine et salle à rénover ! Mais Khaleb, caché dans les toilettes pour femmes avec la chienne de la serveuse, a échappé à la dénonciation. Wikström lui permet d'obtenir de faux papiers grâce à un jeune as de l'informatique qui pirate le service national de l'état-civil.

Sur une idée du portier, le restaurant change sa carte pour des sushis. Des costumes japonisants et des lanternes suffisent à changer le look. Mais quand un car de Japonais débarque, il n'y a plus assez de saumon et Wikström tente de les remplacer par des harengs marinés. Les clients sortent sans un mot et sans payer. Le lendemain le restaurant a retrouvé sa vieille enseigne et les boulettes de viande sont de nouveau au menu.

Mazdak vient retrouver Khaleb pour lui annoncer que l'on a localisé Miriam en Lituanie. Khaleb veut partir de suite mais Wikström lui propose une solution plus raisonnable que de traverser de nouveau trop de frontières. Il demande à son ami routier, Melartin, de ramener Miriam. Ce que celui fait noblement pour rien, heureux que le contrôle de police à l'arrivée n'ait rien donné.

Miriam ne veut pas de faux papiers et désire aller à la police le lendemain pour demander le droit d'asile. Khaleb promet de l'accompagner. Mais le soir, alors qu'il rentre dans l'entrepôt du garage qui lui sert de domicile, il est poignardé par le nazillon de l'armée de libération de la Finlande qui le traite de youpin.

Wikström a retrouvé sa femme qui tient un stand de restauration rapide. Elle a gardé à son cou, comme un bijou, l'alliance de son mari. Celui-ci, ému, lui propose une place de maître d'hôtel à ses côtés.  En rentrant au garage, Wikström voit les traces de sang laissées par Khaleb.

Au petit matin, Khaleb est, comme prévu, devant le commissariat pour encourager sa sœur et lui dire au revoir. Le coup de couteau reçu le fait souffrir mais n'était pas mortel. Allongé prés de la rivière sous un arbre, il regarde en souriant l'activité des usines de l'autre coté de la rive.

Comme Vermeer ou Hopper en peinture, Kaurismaki dépouille le réel du fatras réaliste autour des sujets principaux au profit de l'espace et de la lumière. Les personnages, concentrés sur leur but, évoluent ainsi dans des décors presque nus, simplifiés, sans avoir besoin de prononcer beaucoup de mots. Cinéma du montage, c'est aussi celui d'un rire d'autant plus nécessaire que la mort rôde.

Le discours du montage

Le discours de Kaurismaki passe par le montage souvent entre un regard et un objet. Si, chez Vermeer, une fenêtre, une lettre ou une balance retiennent l'attention du personnage, il s'agit ici d'une valise que l'on remplie, d'une l'alliance déposée dans un cendrier plein de mégots et d'un verre près d'une bouteille qui se trouvera bientôt rempli par elle. La grosse berline noire, les cartes à jouer formant une couleur ou un carré d'as sont aussi des objets qui remplisse un cadre évidé tout autour.

Le raccord regard entre un personnage et l'objet qu'il regarde est ainsi la base de la mise en scène de Kaurismaki. Il retrouve l'efficacité burlesque des auteurs du muet, Chaplin ou Lubitsch. Car l'ellipse n'est pas le moindre des moyens utilisé par Kaurismaki. Ainsi, après la préparation ahurissante des sushis, leur présentation aux clients et les réactions qui s'en suivent ne sont pas montrées. Le départ sans un mot des Japonais suivi du plan sur la peluche dérisoire disant bye-bye de son bras articulé, puis, le lendemain, le restaurant ayant retrouvé son aspect normal, graduent de façon burlesque la catastrophe qu'à été la réception du plat.

Rire en attendant Le jugement dernier

Si un jugement dernier peut apparaitre à l'arrière-plan de La femme à la balance, il semble aussi en être de même chez Kaurismaki. Si le pire n'a pas encore eu lieu (la mort de Miriam ou celle de Khaleb), de petites catastrophes planent comme  un sentiment permanent d'une apocalypse possible. Khaled émerge tel un mort vivant de la cale de charbon. Wikström pourrait mourir dans le tripot pour avoir gagné tant d'argent dans la partie de poker nocturne. La fonctionnaire de l'émigration a la vue courte. A peine son jugement émis, une émission de télévision vient montrer la prise d'Alep et ses terribles massacres. L'errance dangereuse dans la ville avec l'armée de libération de la Finlande incarne aussi la menace. Seule la musique rock semble en capacité d'échapper à la mort. Et encore, les paroles du blues finlandais, signées du folksinger Tuomari Nurmio, sont tristes à mourir : « Maman, maman, allume la lumière/Je vais mourir bientôt/et quitter la compagnie/Peut-être quelque part/tu me trouveras un complet blanc/On me jettera bientôt dans un trou noir… »

Heureusement, tant que l'on n'est pas mort, l'humour reste possible. Humour du menu de la carte (sardines ou boulettes de viande), de la séquence des sushis avec les costumes et les lanternes vaguement japonais, la demande d'avance des employés à la queue leu leu, de la chienne qui se cache intelligemment pendant la visite des services de l'hygiène. Et puis, en acceptant l'autre rive, tous peuvent trouver l'espoir d'échapper à la catastrophe ainsi Wikström retrouve sa femme aimante et débarrassée de l'alcool. Il reste cependant à savoir si Khaleb, sans soin, ne mourra pas de sa blessure. Dans ce cas là, l'autre côté de l'espoir sera la mort.

Jean-Luc Lacuve, le 20/03/2017.

Bibliographie : Jacques Mandelbaum, Aki Kaurismäki : "L’homme est fou précisément parce qu’il pense", Le Monde du 14.03.2017.
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