Michael Stone, mari, père et auteur respecté de « Comment puis-je vous aider à les aider ? » est un homme sclérosé par la banalité de sa vie. Lors d'un voyage d'affaires à Cincinnati où il doit intervenir dans un congrès de professionnels des services clients, il entrevoit la possibilité d’échapper à son désespoir quand il rencontre Lisa, représentante de pâtisseries, qui pourrait être ou pas l’amour de sa vie…
A l’origine, Anomalisa était une pièce de théâtre écrite pour être entendue ; les acteurs interprétaient oralement leurs textes et étaient accompagnés de cartons narrant l’histoire. David Thewlis, Jennifer Jason Leigh et Tom Noonan incarnaient déjà leurs personnages respectifs, tandis que Carter Burwell signait la musique. C'est sous l'impulsion de Duke Johnson, qui coréalise le film, que Charlie Kaufman a accepté, dix ans après, d'adapter sa pièce. Le mélange de stop-motion et de poupées conçues de manière réaliste est cohérent avec l'intrigue, resserrée autour d'un homme marqué par la banalité de son existence. Le procédé finit cependant par écraser son tout petit sujet qui sombre lui-même dans l'ennui et la banlité qu'il prétend dénoncer.
Not eternal Sunshine of the spotless mind
Charlie Kaufman écrivait il y a dix ans pour Michel Gondry le beau et romantique Eternal Sunshine of the Spotless Mind (2004), un ensemble de combats parfois drôles et souvent douloureux de ses personnages pour réaliser et assumer leur amour. Sa pièce date de la même époque et prend ce romantisme à contre pied. Ici, Michael Stone, personnage aussi effacé que pouvait l'être Joël Barish mais âgé de vingt ans de plus, entend bien la différence dans la voix de Lisa mais cette révélation ne dure que le temps d'une nuit d'amour. La parenthèse se referme dès qu'il perçoit les petits défauts de Lisa (mettre ses dents sur la fourchette, parler la bouche pleine, ressortir le discours tout préparé des chauffeurs de taxis sur le zoo de Cincinnati). Dès lors, puisque tout se vaut, il repart vers sa femme et son fils pour revivre dans la frustration.
Les personnages sont impitoyablement banals. Michael Stone, auteur surfait pour cadres commerciaux en mal de petits trucs performants et manipulateurs pour améliorer la productivité de leurs employés, ne croit plus lui-même en son discours tout préparé. Il a du mal à répéter dans sa chambre. Il n'aime plus ni sa femme ni son fils et repense à son amour de jeunesse, Bella, qu'il va retrouver à Cincinnati en lisant sa lettre de rupture dans l'avion. Bella perçoit que seul le désir sexuel anime son ancien amant qui l'avait laissé choir sans prévenir. Ne reste plus alors à Michael qu'une rencontre de couloir. Mais Lisa n'est une anomalie que dans sa vie où prévaut l'uniformité. Kaufman ne prend jamais soin de se détacher de son personnage pour faire de Lisa une personne qui pourrait plaire à Michael. Pur reflet du désir d'anormalité, la parenthèse Lisa se referme donc tristement le premier matin venu.
Personnage et système clôts
Le procédé des voix uniques pour tous les personnages autour du couple central surprend d'abord. Ainsi lorsque Michael s'adresse à sa femme, Donna, dont (comme nous) il ne reconnait pas la voix féminine. Néanmoins, une fois la surprise passée, rien ne vient plus enrayer le système jusqu'à la convocation au matin dans le bureau du directeur où Michael a la vision d'un monde où tous les individus sont semblables. Cela n'était qu'un cauchemar mais néanmoins il s'agit bien d'appuyer, de surligner ce que l'on savait déjà de Michael : tous les autres sont semblables et aucune altérité n'est possible.
De même, le procédé de stop motion appliqué aux figurines recouvertes d'une peau en impression 3D est amusant mais finalement trop exhibé comme une performance à voir pour elle même. Rien de vraiment émouvant n'arrive en effet ni le voyage en avion, puis en taxi puis l'arrivée à l'hôtel Fregoli. Il faut attendre l'achat dans le "magasin de jouet" pour avoir un peu d'originalité.
Probablement n'était-ce pas une bonne idée d'adapter une pièce parlant de l'ennui d'un monde uniformisé avec des procédés plastiques aussi systématiques.
Jean-Luc Lacuve le 06/02/2016.
Technique: Pour fabriquer les marionnettes, Starburns Industries a fait appel à l'impression 3D, seule à même, selon la responsable des marionnettes Caroline Kastelic, d'apporter le réalisme recherché par l'équipe. D'abord modélisés au sein du logiciel 3D Zbrush, les 1261 visages et les 150 figurines ont été imprimées et changées en fonction de la scène. En revanche, tout le reste, des 18 décors aux 1000 accessoires, ont été produits à la main. Afin de donner vie aux figurines, l'équipe devait s'armer de patience. Chaque scène pouvait nécessiter jusqu'à plusieurs semaines de travail : après avoir placé les personnages dans le décor, les animateurs devaient à chaque fois définir le placement de la caméra (parfois en la collant au sol) et en régler l'optique, tout en réglant minutieusement l'éclairage. Au total, 118 089 photographies ont été prises et assemblées pour créer un long-métrage de 90 minutes. En plus de s'attacher au réalisme des personnages en soignant les moindres détails (brillant des yeux, irrégularité des traits), Charlie Kaufman a tenu à laisser visibles les coutures de chacun des visages. Ceux-ci ne sont donc pas retouchés par ordinateur en post-production, comme le veut l'usage, et conservent l'aspect rugueux voulu par les réalisateurs pour illustrer le mal-être de Michael Stone.