Le corps de Melquiades Estrada, paysan mexicain, est retrouvé en plein désert, où il a été rapidement enterré après son assassinat. Par qui ?
Pete Perkins, contremaître de la région et meilleur ami de Melquiades, va mener lui-même l'enquête que les autorités locales refusent d'assumer. Seul garant, dans cette étrange région du Texas, d'une réelle humanité, il va découvrir le meurtrier, lui faire déterrer le corps et offrir à son ami le plus beau voyage de sa vie, vers une sépulture honorable dans son Eldorado natal, le Mexique.
Il en profitera aussi pour briser l'assassin, l'humilier, le frapper et le terroriser pour qu'il finisse par demander pardon..
Le film commence sous les pires auspices d'un scénario tentant de faire oublier le schématisme de ses personnages sous des artifices narratifs de flash-back successifs. Or rien ne vient justifier de raconter les saynètes du passé depuis le présent. Si on raconte le passé depuis le présent c'est que le personnage doit trouver dans ce passé quelque chose qui l'implique au présent (voir : théorie du flash-back). Ici on a, au mieux, des bouffées de mémoire involontaire et, au pire, de l'explicatif à destination du spectateur tel le coup de la photo de famille alors que le voyage est commencé.
On pourrait aussi porter au débit du film une rocambolesque succession de coïncidences. C'est le mari trompé qui tue sans savoir qui il est, l'amant de sa femme. La seule amie de celle-ci écoute l'un de ses amants recevoir la confidence du nom du meurtrier par le chef des gardes-frontières. Ou bien encore, au cours de son voyage, le policier retrouve pour le sauver, justement celle à laquelle il a cassé le nez lorsqu'elle essayait de franchir la frontière. Ce mépris de la vraisemblance a toutefois pour mérite de simplifier le déroulement de l'intrigue policière et d'épurer ainsi l'événementiel pour se concentrer sur la dimension symbolique.
Car c'est bien évidemment le voyage vers le village natal qui constitue la meilleure part du film. Le scénario retrouve alors la linéarité pour creuser le thème de la frontière. Celle-ci est à la fois très visible : la rivière, les flics, le passage à tabac mais aussi métaphorisée : l'idéal d'un monde encore préservé des publicités, une vraie vie de famille d'un côté et de l'autre l'Amérique avec ses coucheries, sa corruption et sa vacuité. Et puis... finalement : la télévision des deux cotés et un village qui n'en est pas un, une femme qui n'est pas ce qu'elle prétend être.
C'est dans ce désenchantement de la disparition de la frontière entre pureté et corruption, bien et mal que le film trouve son âme. Âme qu'il avait bien failli perdre avec le thème de la transmission des valeurs par la violence et le masochisme (berk !). Le cow-boy s'en va solitaire et désenchanté ; les voyages ne servent décidément plus à grand-chose.
Jean-Luc Lacuve le 22/12/2005