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Le femme insecte

1963

Genre : Drame social

(Nippon konchûki). Avec : Sachiko Hidari (Tome Matsuki), Kazuo Kitamura (Chuji), Sumie Sasaki (En), Teruko Kishi (Rin), Seizaburô Kawazu (Karasawa), Hiroyuki Nagato (Mori Matsunami), Jitsuko Yoshimura (Nobuko), Daizaburo Hirata (Kamibayashi), Asao Koike (Sawakichi), Masumi Harukawa (Midori), Shoichi Ozawa (Ken), Taiji Tonoyama (chef de secte), Emiko Aizawa (Rui), Emiko Higashi (Kane), Tanie Kitabayashi (Madam), Shoichi Kuwayama (amant d’En), Hiroyuki Nagato (Matsunami), Shigeru Tsuyuguchi (Honda). 2h03

1918. En, jeune paysanne, accouche dans la douleur. Chuji, son compagnon, homme simple et un peu attardé, reconnaît l'enfant, Tome, une petite fille, alors que tous se rient de lui tant personne n'ignore les nombreux amants de En.

1929. En accepte de mauvais grès une relation sexuelle avec un de ses amants. Tome et son jeune frère surprennent leurs ébats dans la grange. Tome demande à son père s'il est mariée avec En. Chuji répondant par la négative, elle lui demande s'ils peuvent coucher ensemble, comme cela ils seront mariés.

1938: Tome travaille dans une usine textile où les ouvrières se plaignent des attouchements dont elles sont victimes dans les cinémas. Tome est appelée d'urgence pour rentrer chez elle où son père est très malade. Il s'agissait d'une ruse pour faire revenir Tome au village et l'envoyer chez les Honda, les riches propriétaires de la région afin de payer une dette de 10 yens par son travail. En fait tous savent que Tome devra coucher avec son patron. Lorsque Chuji arrive à l'improviste, il tente vainement d'empêcher sa fille d'aller chez les Honda. Il la retient néanmoins pour la nuit et lui suce son gros bouton sur la cuisse

Le lendemain Honda abuse de Tome. Ils sont surpris par son fils qui traite alors Tome de démone. Tome sait que Honda a d'autres maîtresses et qu'elle n'est vraiment pas certaine de bénéficier de sa richesse.

1939:  Tome est revenue dans sa famille. Chuji a corrigé Honda et celui-ci ne reprendra pas Tome car elle est enceinte. A la naissance de Nobuko, Tome a trop de lait. Elle demande à son père de la soulager.

1942 : le superviseur de l'usine textile est venu chercher Tome. Celle-ci travaille donc pour l'effort de guerre. Le superviseur profitant d'une alerte aérienne devient son amant.

1945 : l'empereur annonce la capitulation du Japon. Dans l'usine textile le superviseur est devenu syndicaliste mais ne veut pas arrêter les machines au bruit assourdissant lorsqu'il demande aux ouvrières de l'écouter. Il empêche Tome de le faire. Bientôt c'est la rupture entre eux; il va être promu et elle licenciée.

1947 : Tome est devenue la servante de Midori et de sa petite fille, Catherine. Midori a pour amant George, un américain, qui lui assure un bon train de vie. Tome, frustrée sexuellement est à l'écoute de leurs ébats. Elle ne surveille ainsi pas suffisamment, Catherine qui s'ébouillante avec une marmite sur le feu et en meurt.

1952 : Détruite, Tome se confesse dans une salle collective à un prêtre bouddhiste de La Terre Pure. Madame la remarque et l'emploie comme femme de ménage dans son auberge qui est en fait une maison de prostitution. Tome y devient prostituée. Elle dénonce une de ses collègues qui fait des passes à l'extérieur et devient ainsi l'assistante de Madame. Cela n'empêche pas Tome de prostituer son amie Midori pour son propre compte. Celle-ci est presque soulagée de la mort de sa petite fille tant elle craignait de ne pas lui assurer une vie heureuse. Midori vie maintenant avec un homme un peu simple mais totalement dévoué. Madame finit par apprendre les activités de Tome et lui propose de lui trouver un protecteur si elle les arrête ses activités en ville. ce sera le riche entrepreneur Karasawa.

1954 : la lutte contre la prostitution des autorités japonaises produit ses effets : Madame est arrêtée par la police. le témoignage secret et perfide de Tome la fait condamner à dix ans de prison. Tome décide d'organiser un réseau de prostitution informelle; chacune des femmes devra trouver un petit travail  lui servant de couverture et se comporter comme la femme d'une nuit avec les clients que Tome leur trouvera. Comme elle ne prend plus que 30% (mais sans frais à sa charge) au lieu de 60%, son commerce est bientôt florissant. Elle exploite Midori comme les autres ainsi que sa jeune servante. Elle lui fait refaire le nez pour la prostituer plus souvent. Tome serait heureuse si Karasawa ne l'incitait pas à coucher avec un de ses gros clients pour le corrompre en lui remettant une grosse somme d'argent.

1959: Tome s'est fâchée avec sa servante et lorsque sa fille vient la voir, elle doit lui avouer son métier. Elle s'effondre lorsqu'elle apprend que Nobuko a arrêté ses études et cherche de l'argent pour fonder une ferme coopérative avec des amis dans la montagne. Pire, elle est arrêtée et condamnée à deux ans de prison

1962. Nobuko qui avait besoin d'argent pour sa ferme est devenue la maîtresse de Karasawa mais le quitte après avoir obtenu l'argent nécessaire pour rejoindre son fiancé et le persuader cil est le père de l'enfant qu'elle attend. Karasawa voudrait se débarrasser de Tome tout juste sortie de prison mais il veut bien la reprendre si elle convainc Nobuko de revenir en ville. Tome, misérable et sans ressource, s'en va ainsi dans la montagne à la rencontre de sa fille.

La femme-insecte marque un tournant dans la filmographie d'Imamura qui va approfondir la densité psychologique de ses personnages tout en continuant d'explorer le rapport de l'individu face à la société. Tome, la femme insecte du titre, va courageusement tenter de sortir du cercle des humiliations subies par ses parents. Entre 1918 et1963, la société japonaise va passer d'une économie rurale à une économie urbaine sans que pourtant l'aliénation à l'organisation économique dominante disparaisse.

Une longue préparation

Durant les deux années d’interdiction de filmer imposées par les studios de la Nikkatsu, suite au tournage du sulfureux Cochons et cuirassés, Imamura tombe par hasard sur un scénario signé par un ancien ami, Keiji Hasebe. Leurs retrouvailles vont marquer l’une des évolutions les plus importantes du cinéaste. Autant sa précédente collaboration avec le scénariste Hisashi Yamanouchi lui avait appris à explorer le rapport de l’individu face à la société, autant son travail avec Hasebe lui révèle l’essence même de l’être humain. Citadin convaincu, Imamura se découvre une fascination pour les gens de la Terre et – par extension – pour les origines du peuple japonais.

Il va aussi se remettre à interroger des anonymes croisés dans des bars sur leurs histoires de vie, comme il avait l’habitude de le faire lorsqu’il habitait encore le quartier de Shinjuku. Le récit d’une prostituée et – surtout – la différence de certains détails entre sa version et celle rapportée par des membres de sa famille proche vont lui inspirer La Femme Insecte. Quant au titre original – Konchuki (Insecte), l’idée lui vient en observant un insecte faire plusieurs fois le tour de son cendrier. La Nikkatsu craignant que le grand public ne confonde le film avec l’adaptation d’une fable de La Fontaine (!), le réalisateur consent finalement à changer le titre pour Nippon, Konchuki (Chroniques entomologiques du Japon ou Insect Woman / La Femme Insecte pour la distribution mondiale).

Une fresque sociale et humaine

De nombreuses mais brèves séquences documentaires viennent rappeler qu' en 45 ans, entre 1918 et1963, la société japonaise passe d'une économie rurale à une économie urbaine (inondation, révoltes paysannes, manifestation contre le traité de défense américano-japonais), d'une société dominée par la soumission à l'empereur à  une société démocratique sous domination américaine (écoute de la capitulation, proximité des bases aéroportées américaines). Tout aussi brefs et implacables sont les arrêts sur images qui viennent confirmer l'aliénation de En ou Tome. Accompagnés d'une voix off, ils viennent constater leur condition misérable qu'elles assument avec tristesse ou ironie.

Ainsi en dépit des changements économiques l'aliénation demeure. La fin est ainsi ouverte. Tome vient-elle chercher Nobuko pour la ramener à Karasawa ; pour la lui offrir comme, En, sa mère, l'avait prostituée à son âge ? Ou peut-on espérer que Tome pourra trouver dans cette ferme écologique la possibilité d'un nouveau départ ?On ne peut juger si ses chaussures mal adaptées à la campagne et qui se cassent signifient qu'elle n'a rien à y faire ou qu'elle ne pourra revenir en ville. Le ton implacable du film ne lui laisse que peu d'espoir d'un avenir rédempteur.

Un nouveau départ pour Imamura

Contre toute attente, le film crée l’événement. Énorme succès au box-office, il est désigné meilleur film de l’année. Peut-être même a-t-il donné naissance au genre du Pinku Eiga (films à teneur plus ou moins érotique, dont le sujet principal n’est pas nécessairement l’érotisme).  Il  rafle pléthore de prix dans de nombreux festivals mondiaux. Sachiko Hidari, son actrice principale, reçoit ainsi le prix d’interprétation au Festival de Berlin 1964. Ayant  passé énormément de temps à discuter avec elle pour s’imprégner de son histoire personnelle et alimenter son personnage fictif, Imamura renouvellera cette méthode jusqu’à la fin de sa carrière et notamment dans le suivant, Désir meurtrier.

Jean-Luc Lacuve, le 15 juin 2018

Source : dossier de presse

Deux brèves séquences sont constituées d'un montage de photographie montrant le retour de Tome dans son village après la guerre et l'agression de Tome sur sa servante au commissariat. S'agit-il de les rendre plus violentes par la succession des images arrêtées ou de sauvegarder des séquences perdues ?