Le matin, de la rosée sur une toile d'araignée, le coucou. Dans la brume, une vache, la 2545, meugle et traverse le troupeau. D'autres la regardent. Elle vient fixer la caméra. Fondu au noir sur le titre : Bovines.
De la rosée sur l'herbe, broutée par les vaches. L'une, la 9435, rumine. Le soleil se lève. L'une lèche sa camarade ; l'autre broute avec application. Bientôt, le troupeau envahit le champ. C'est l'après-midi au ciel gris, loin dans le bocage, un troupeau de vaches, affalées sur une pente herbeuse. L'une rumine machinalement, les yeux fermés et profite des rares rayons du soleil jouant entre les nuages. L'orage gronde maintenant dans le ciel devenu noir non loin du troupeau. Les vaches se lèvent. La pluie tombe dans une flaque. Le soleil a disparu. Les vaches groupées, debout, stoïques sous la pluie ont trouvé refuge sous un arbre. Le vent fait tomber les feuilles. Fondu au noir. Le bruit des grillons, une vache dort dans la nuit. La lune passe.
Au petit matin, une vache pisse ; une autre est sur le flanc. Elle vêle et le petit commence à sortir d'elle, à même l'herbe. Elle se léve. Le petit, la tête penchée vers l'herbe, a l'arrière-train encore pris dans son corps. Il s'en extirpe et tombe au sol. Sa mère le lèche. C'est le petit matin rose. Le troupeau s'affaire autour du nouveau-né. Le petit se met sur ses pieds, tremblant, le cordon encore pendant. Sa mère le lèche puis il s'éloigne avec elle.
Le 2930, est-ce ce petit veau ? A l'arrière-plan, une maison puis un couple dans un champ avec un tout jeune enfant habillé de rouge. L'homme prend des notes. Fondu au noir. Brume du matin dans laquelle on distingue le troupeau. Il gagne un enclos près d'un bâtiment de tôles. Un camion à bestiaux vient se garer. Un homme fait monter une vache, la 9356, dans le camion sur lequel on peut lire : "Vente directe, viande charolaise". Le camion s'éloigne alors que les autres vaches meuglent tout en semblant suivre le camion.
Des oiseaux qui volent dans un ciel de nuages blancs. Deux vaches près d'un grand arbre majestueux. Les vaches descendent rapidement la colline. Elles broutent le foin dans leur auge. Du bleu dans le ciel. Une vache lèche l'oreille d'une autre, la 9240, qui, manifestement, apprécie. Fondu au noir.
Un pré fleuri de pissenlits que le soleil éclaire. Un paysan conduit le tracteur de la bétaillère dans ce champ. Les vaches galopent gaiement dans le pré tout en meuglant de joie. Un veau resté à l'écart est ramené dans le droit chemin, celui que suivent ses compagnes. Une vache broute l'herbe grasse ; d'autres se font chauffer au soleil, allongées dans l'herbe. Ce sont les reines des prés. L'une chie tranquillement. Le soleil inonde la prairie. Un sac plastique fantomatique parcourt le pré au raz de l'herbe. Il est humé par une vache avec ses petits. Vaches figées dans le petit matin de ciel rose. Mousse de lait sur l'herbe : c'est un petit qui tète. Une vache secoue les branches d'un pommier pour faire tomber quelques pommes dont elle fait son dessert.
Une route, noire, au petit matin. Une bétaillère immatriculée dans le Calvados arrive dans un champ. Trois paysans guident des avches vers un l'enclos. Les veaux sont séparés de leurs mères ; les paysans constatent que les mères appellent leurs veaux et les vaches protestent effectivement avec véhémence. Les barrières de la bétaillère se referment sur les veaux parqués. Les vaches hurlent, le tracteur et sa bétaillère s'éloignent. La 2293 est triste. Le troupeau des mères se résigne après un dernier regard, un dernier beuglement. Fondu au noir.
L'il d'une vache, la 9435, ses poils blancs sur le cuir. Elle broute et mâche, son museau exhale un souffle, puis elle s'arrête. Fondu au noir. Générique de fin.
Documentaire animalier exceptionnel sans musique ni voix off et tenant son sujet indiqué par le sous-titre, "la vraie vie des vaches", avec sérieux et poésie. Dans la première moitié du film aucun humain n'apparait. C'est l'automne en Normandie et les vaches occupent leur temps entre rares rayons de soleil et pluie. Le cours d'une journée, de la rosé du matin, à la nuit en passant l'après-midi nuageux puis orageux. Après cette première journée en vient une seconde avec la naissance du petit veau, filmée en un unique plan de 2'30 puis plusieurs autres pour une séquence de cinq minutes au total.
Les plans de cette partie sont extrêmement composés, à la recherche d'un équilibre entre terre et ciel. Les masses y sont équilibrées comme dans un tableau. Emmanuel Gras offre ainsi une image resplendissante de la nature sans recherche du pittoresque. Des plans au ras de herbe ou du sol, des très gros plans fantastiques de vaches, terribles machines à brouter, contrastent avec des plans très larges où une minuscule tête entre par la gauche du cadre dans un immense champ, bientôt suivie de ses compagnes. Les vaches, si l'on peut dire, maintiennent leur mystère. Le son du coucou, le son des ruminants arrachant l'herbe et de la pluie de l'orage complètent cette esthétique.
Tout juste avant la mi-temps du film, les hommes interviennent. Et, fussent-ils aussi charmants que le petit bambin habillé de rouge, ils donnent aux vaches leurs fonctions : être vendues et tuées. Se succèdent alors moins les étapes d'une journée comme précédemment que le déroulement des saisons. L'hiver avec le foin apporté au bas du pré, puis le printemps resplendissant avec ses pissenlits dans les prés. Même la présence humaine se fait poétique avec le sac plastique fantomatique.
Vient alors la dernière séquence amorcée dans la nuit noire du petit matin où les veaux sont séparés de leur mère pour être emmené à l'abattoir. "Quoi que tu fasses, le destin finit par te rattraper": cette morale du film noir s'applique volontiers à ce film documentaire.
Jean-Luc Lacuve le 22/02/2012