La première partie du Contrôle de l'univers, beaucoup plus littéraire que visuelle (et dans ce cas les livres parus chez Gallimard s'avèrent fort utiles), est une longue interrogation sur la nature du pouvoir. Dès le début le pouvoir est décrit en termes contradictoires : la "menace du tonnerre", la "présence d'absolu" peuvent venir d'"une voix douce et faible" ou d'"une puissance chuchotée", que Godard illustre par des portraits de femmes artistes (Virginia Wolf, Camille Claudel ). A cette puissance de l'esprit s'opposent les autres formes de pouvoir : état, police, propagande, qui font régner la terreur (Les Oiseaux d'Hitchcock) et la misère (Jeanne d'Arc de Dreyer). Mais l'auteur nous rappelle que "ce dieu tyran" est aussi une création de l'homme. Il soulève là la question de la responsabilité de l'homme qui, s'il a la puissance de créer la beauté par sa pensée et ses mains, peut également engendrer l'horreur ( Freaks, images pornographiques, les camps).
L'épisode se concentre ensuite sur la figure de l'artiste et son action sur le réel. Jean-Luc Godard fait défiler les portraits de Robert Bresson, Fritz Lang, Rainer Fassbinder, jusqu'aux contemporains Eric Rohmer ou Philippe Garre. Puis il consacre un important hommage à Alfred Hitchcock : "Si Alfred Hitchcock a été le seul poète maudit à rencontrer le succès, c'est parce qu'il a été le plus grand créateur de formes du vingtième siècle." L'admiration sans mesure pour le cinéaste est déjà présente dans l'ensemble des Histoire(s) du cinéma, mais elle est ici précisément liée à la question du contrôle de l'univers, Hitchcock ayant "réussi là où échouèrent Alexandre, Jules César, Napoléon". Le rapport de Jean-Luc Godard au cinéma est toujours affectif, c'est pourquoi il n'hésite pas à interpréter subjectivement les films de Hitchcock, dont sa mémoire a gardé des icônes : "un sac à main", "un autocar dans le désert"...
La troisième partie redevient plus obscure et plus dubitative, élargissant le thème à une réflexion sur la difficulté à définir le cinéma. Lorsque Alain Cuny lit de sa voix caverneuse un long texte lyrique, c'est à travers lui que Jean-Luc Godard, montrant son visage le plus mélancolique, entretient avec le cinéma un rapport personnalisé, à la manière dont un croyant personnifie son dieu : "Le cinéma ne pleure pas sur nous, il ne nous réconforte pas, puisqu'il est avec nous, puisqu'il est nous-mêmes [ ]. Il est encore là quand nous sommes vieux, que nous regardons fixement du côté de la nuit qui vient, il est là quand nous sommes morts " Difficilement supportable, cette partie des Histoire(s) exprime encore la désillusion sous-jacente à toutes les Histoire(s), Jean-Luc Godard assimilant la mort du cinéma (Maria Casarès dans Orphée : "Toute cette histoire est maintenant déjà passée. [ ] elle achève de se figer. Pour toujours. Dans un passé de marbre, comme ces statues ") et sa propre mort, dans une terreur existentielle ("Que je suis maudit, que je suis oublié", sur des images de meurtre et une musique de Léo Ferré).