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Hélas pour moi

1993

Voir : photogrammes

Avec : Gérard Depardieu (Simon Donnadieu), Laurence Masliah (Rachel Donnadieu), Bernard Verley (Abraham Klimt), Roland Blanche (Jacques Vacher, libraire et professeur de dessin), Marc Betton (le docteur Vallès), François Germond (le pasteur), Jean-Louis Loca (Max Mercure), Aude Amiot (Aude Amiel), Anny Roman (Mme Monot, la femme du pasteur). 1h35.

Un homme vient dans un village. Il raconte, off, ce que faisaient ses aïeux lorsqu'ils avaient une tâche difficile à accomplir. Il repart du village. Le titre du film s'affiche "hélas pour moi". L'homme s'en vient demander après Rachel et Simon dans le garage qui leur appartient. Il poursuit, off toujours, la fin de l'histoire de ces aïeux, s'y incluant lui-même : il a une tâche difficile à accomplir : raconter une histoire.

Livre premier : Près d'un lac des personnages figés, comme arrêtés. Une jeune fille brune vient demander des cours de dessin à Jacques Vacher qui se trouve aussi être libraire. Dans sa librairie, une jeune fille blonde lit et des personnages discutent. L'un d'eux court vainement après une certaine Angelica. Un autre vient chercher un livre qu'il emporte promettant de le payer le lendemain. On retrouve cet homme dehors, saluant M. Rigaud, le cantonnier, qui vide les poubelles près du lac. Derrière un arbre, un homme épie le couple vu précédemment. C'est l'homme de la librairie qui cherchait Angelica. Celle-ci est avec son amoureux. Ils quittent le lac. L'homme derrière l'arbre s'écroule à genoux après avoir crié "Angelica" une nouvelle fois. L'homme au livre qui revient sur ses pas le gratifie d'une formule de pitié.

Une femme blonde, deux adolescents à vélo, un enfant et une autre femme partent à travers champs. Ils vont chez le pasteur et sa femme. Les adolescents viennent voir madame Monot la femme du pasteur afin qu'elle leur explique le sens du romanesque. La femme blonde est Rachel Donnadieu. Elle vient voir Eric Monot, le pasteur. Elle lui dit que cinq jours auparavant, elle a appris que la chair peut être triste. Le pasteur lui conseille de reprendre tout au début.

Sur un quai de gare, un homme vu de dos semble comme descendu d'un train passé à grande vitesse. Les passagers du train suivant descendent sur le quai. Un homme, venu en voiture chercher l'homme sur le quai, arrête Ondine, une jeune touriste. Il lui soulève la jupe pour montrer à l'homme vu de dos qu'elle pourrait faire l'affaire. Ils se font insulter par les touristes. Dans le restaurent de Rachel et Simon, un championnat de bridge est organisé. Sont présents Jacques Vacher et Nelly, sa nouvelle fiancée, le docteur Vallès, Paul et sa sœur. Paul dit qu'il faut signer sans tarder pour acquérir un nouveau restaurant. Parallèlement, Abraham Klimt vient chez le pasteur interroger Constance et son mari le cantonnier. Celui-ci lit une revue érotique pendant que sa femme effile les haricots verts. Ils parlent d'un combat avec le Dieu. Le soir est tombé.

Livre deuxième. Le soir au restaurant de Rachel et Simon, un dîner entre amis. On discute de la guerre à Bagad, de la destruction des ziggourats, du comportement amoureux d'un couple dans le noir. L'un des deux hommes descendus du train dit "De toute façon vous êtes en chacun d'eux. Apprenez leur texte, ce n'est facile d'être un homme". Jour. Rachel nage, elle est sur le ponton, elle accueille des gens. Un autre jour, Abraham Klimt, éditeur, vient interroger Nelly sur ce qui s'est passé en fin d'après-midi, le 23 juillet 1989.

Livre troisième : "Je ne sais pas si on peut appeler ça une histoire". Cet après-midi là, Jacques Vacher, le communiste, comparait les derrières de la femme du pasteur et de Rachel. "Dans le livre, il manque des pages alors je cherche, c'est mon métier", affirme Klimt. Simon hésitait à partir, autre chose était prévu. Il en parla à Rachel. Elle était mécontente de son départ. C'était leur première dispute. Simon quitta Rachel fâchée.

Livre quatrième. Dans le magasin vidéo de Benjamin qui jouxte le restaurent. Quelqu'un cherche la copie tirée du deuxième négatif des Straub où un lézard passe dans le bas du cadre vers la 18ème minute. Plusieurs fois le départ de Simon. Coquelicots. Effets de lumière sur Nelly. Nelly et Rachel nagent. Dans le magasin vidéo, Benjamin choisit des films d'horreurs pour une cliente. Ils évoquant le diable. Klimt se rend auprès de Aude Amiel, qui prépare des fleurs pour l'église du pasteur. C'est Aude qui a écrit une lettre à Klimt pour le faire venir. Elle lui a dit avoir vu, non entendu, quelque chose. Ce jour-là, deux hommes invisibles étaient présents, ceux du train, Max et Dieu, pendant que Simon discutait avec le pasteur. Après un ultime essai de voix, après que Max ait coupé les cheveux trop longs de son seigneur, ce jour-là, il y a eu fusion de Dieu dans Simon. Après le départ de Simon, Rachel était rentrée chez elle à la nage.

Livre cinquième : Max parle à Dieu-Simon. Simon veut rallonger la nuit pour passer plus de temps avec Rachel. Il arrive chez elle encore malhabile dans sa peau d'humain. C'est moi Simon lui dit-il. Mais il dérange, Rachel ne veut pas parler avec lui, ne veut pas l'embrasser. Il avait dit qu'il partait, en conséquence elle attend demain matin. Il veut l'embrasser. ll ne peut pas car elle l'attend. Elle veut qu'il reparte acheter l'hôtel en Italie. Elle comprend qu'il est une autre personne. Elle ponctue ses phrases de "mon Dieu". Il acquiesce, il lui révèle qu'il est Dieu. Il fait la lumière en pleine nuit.

Noir, Klimt et Aude discutent dans la nuit. "Pas d'image possible : je n'ai rien vu, j'ai entendu" lui dit-elle encore. "Où suis-je, où suis-je mon Dieu ? " s'interroge Rachel. "Vous êtes chez moi, mais j'ai arrangé un peu comme chez vous" répond Dieu. "Je suis en chacun de vous. J'avais un petit garçon, il a donné sa vie pour vous."

Dieu contraint Rachel à faire l'amour avec lui pendant que, off, on apprend comment l'on découvrit en 1932 que la masse de l'univers était composé pour moitié de trous noirs, de matière fantôme. Klimt face à la glace d'une boutique la nuit, la pluie.

Cinq heures du matin. Simon n'est pas là. Dieu est sur son hamac. Klimt sur ce lac : " L'histoire n'existe que dans l'acte de la raconter". Rachel : "Depuis hier je n'ai qu'un mot à la bouche, le mot amour, hélas pour moi. Peut-on se résigner à seulement être aimé dit-elle à Dieu "Aimez le monde en moi si vous voulez mais pas moi dans le monde, s'il vous plait"

"Devenir immortel cela ne vous dit vraiment pas ?", implore Dieu une dernière fois avant de repartir laissant son manteau sur l'eau. Madame Donnadieu salue Ludovic qui part à la guerre en Yougoslavie. Le docteur Vallès et le pasteur discutent sur le quai de gare. Simon est revenu, elle l'embrasse. "Simon Donnadieu.. Rachel." Fin de classe pour madame Monot, les élèves veulent des devoirs. Aveugle mais pas sourd, Klimt connaît maintenant l'histoire par Aude. Mais il ne tire rien de plus en interrogeant Simon. Celui-ci affirme qu'il ne s'est rien passé de particulier, qu'il est revenu embrasser Rachel puis est reparti deux heures après.

Que celui qui n'a jamais fait d'erreur lui jette la première pierre ce que font Jacques Vacher et le docteur Vallès.

Générique. La campagne. Rachel et Simon passent une barrière. Aude off : "Ce n'est pas une scène, ni le commencement de quelque chose, une image, un instant quelque chose de stérile, un point privé de nom, sans biographie, privé de mémoire et qui ne désire pas être raconté. Si on me demande, je réponds, alors il n'y a personne pour me le demander."

"Hélas pour moi, j'ai aujourd'hui une histoire à raconter". Tel pourrait être le défi auquel se confronte Godard dans ce film. Cette tâche est difficile à accomplir du fait des imperfections du cinéma et de la somme des histoires déjà racontées avant nous, depuis la Genèse jusqu'aux films des Straub. L'homme du début, celui qui, l'apprendra-t-on ensuite, est Abraham Klimt, éditeur de livres à la recherche de pages manquantes d'une histoire, le substitut de Godard, peut donc bien affirmer :

"Quand le père du père de mon père avait une tache difficile à accomplir, il se rendait à un certain endroit dans la forêt, allumait un feu et il se plongeait dans une prière silencieuse. Et ce qu'il avait à accomplir se réalisait. Quand, plus tard, le père de mon père se trouva confronté à la même tache, il se rendit à ce même endroit dans la forêt et dit : "nous ne savons plus allumer le feu mais nous savons encore dire la prière". Et ce qu'il avait à accomplir se réalisa. Plus tard, mon père (…) lui aussi alla dans la forêt et dit : "nous ne savons plus allumer le feu, nous ne connaissons plus les mystères de la prière mais nous connaissons encore l'endroit précis dans la forêt ou cela se passait et cela doit suffire". Et cela fut suffisant (…) Mais quand, à mon tour, j'eux à faire face à la même tâche, je suis resté à la maison et j'ai dit nous ne savons plus allumer le, feu nous ne savons plus dire les prières, nous ne connaissons même plus l'endroit dans la forêt mais nous savons encore raconter l'histoire.

Raconter l'histoire, c'est faire ressurgir le passé. C'est penser que cela vaut le coup de nous confronter à ce passé. C'est nous relier à lui, à lui depuis d'origine donc à Dieu, à l'univers, aux peintres et aux romanciers du passé. Tel est le sens des phrases prononcées off dans le livre premier :

Non, non, non, les peintres ne vous diront pas le secret de la souffrance (…) La peinture ne vous dira pas le chemin à parcourir pour arriver de la vision extérieure de l'univers (…) à la contemplation presque jalouse du visage et du geste humain dans la lumière qu'il faut composer pour les éclairer avec toutes les harmonies des plus lointains soleils et des plus poignantes ténèbres.

N'est-ce pas la voix de nos amis que hante parfois un écho des voix de ceux qui nous ont précédés sur terre ? Et la beauté des femmes d'un autre âge est-elle sans ressembler à celle de nos amies. C'est donc à nous de nous rendre compte que le passé réclame une rédemption dont peut-être une toute infime partie se trouve être placée en notre pouvoir. Il y a un rendez-vous mystérieux entre les générations des peintres et celle dont nous faisons parti nous-mêmes. Nous avons été attendus sur terre.(phrase redoublée par un intertitre)

C'est que c'est la question de l'origine. C'est qu'aujourd'hui, tout bonnement, la peur recommence devant le possible. Notre époque est à la recherche d'une question perdue comme fatigué devant toutes les bonnes réponses. "A la trace de Dieu" souligne alors un intertitre.

"Le passé n'est jamais mort", "il n'est même pas passé" (livre troisième)

"Ainsi peu à peu, le passé revient-il au présent à travers la mise en scène imaginaire d'une expérience visuelle qui toujours sollicite plusieurs regards". (livre quatrième)

La littérature est la source du romanesque, c'est ce qu'enseigne madame Monot dont les étudiants venus la trouver chez elle reconnaissent un extrait de Lord Jim dans la phrase qu'elle leur récite "La parole donnée, la parole donné qui faisait de lui, à ses propres yeux, l'égal des hommes sans défaillance qui ne quittent jamais les rangs" et qui connaissent aussi Le cousin Pons ou La cousine Bette, L'éducation sentimentale et L'Introuvable. Madame Monot connaît le poids des mots. Elle reprend ainsi son mari, Eric, qui prépare son sermon à propos d'une phrase mystique de Mallarmé. "Faire de phrases, lui dit-elle, est relativement facile, les défaire est plus difficile. Il y a des phrases fausses que l'on porte comme un poids mort pendant des années".


Peut-être est-ce dans l'imperfection du cinéma qu'il faut chercher la possibilité de se confronter avec le mystère de l'art et de l'origine.

Je m'appelle Abraham Klimt, mon nom est Abraham Klimt. Mes parents m'ont nommé Abraham Klimt. Ne m'identifiant à personne dans ce récit où l'aspect qu'offre l'honneur et la honte est très éloigné de l'idée que l'on s'en fait dans le monde d'aujourd'hui. Et me plaçant sur le terrain de l'humanité ordinaire, j'éprouve une répugnance à dire crûment ce que le spectateur à fort probablement découvert de lui-même. Semblable dégoût peut paraître ridicule n'était cette réflexion qu'à cause de l'imperfection du langage cinématographique, il y a toujours quelque chose d'avilissant dans la l'exhibition de la vérité toute nue.

Même si l'ambition du film est extrême, Godard n'en oublie néanmoins ni ses raccourcis entre images ou formules ni son humour lunaire légendaire :

Vous savez que Le Manifeste du parti communiste a été publié la même année qu'Alice au pays des merveilles.

Vous devriez dire monsieur ou madame alors, pas les prénoms nous ne sommes pas des personnages de roman.

La guerre de Bagdad, les ziggourats, les escaliers pour que les dieux redescendent sur terre(..) Et si les escaliers ont été détruits les dieux ne viendront plus ? Non madame Donnadieu

"Monsieur, avez vous noté qu'il y a vie et qu'il y a gosse dans Yougoslavie" (Aude Amiel livre quatrième)

Rachel à Dieu-Simon "Tiens, tu manges des bonbons maintenant"..

L'érudition n'est pas l'acquisition d'un savoir mais une aventure.

"Fière si je me compare, humble si je me considère."

Avec les communistes, j'irai jusqu'à la mort mais je ne ferai pas un pas de plus

Peut être que son image passe hélas pour moi.

Les bras autour du cou pour enlacer l'homme aimé sont comme les bras élevés pour une prière.

Godard revisite ainsi les grands figures mythologiques de notre civilisation en les confrontant au monde moderne. Il reprend la légende d’Amphitryon qui inspira Plaute, Molière, Kleist et Giraudoux (Amphitryon 38), dont Allemagne neuf zéro citait un passage de Siegfried et le Limousin. Il abandonne pour la première fois le thème récurrent chez lui de la trahison féminine et, en ce sens, rejoint la pensée de Denis de Rougemont, à laquelle le cinéaste fait souvent référence, exprimée dans L’Amour et l’Occident.

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