Pour les élèves de l'école primaire italienne, Rome est "la ville éternelle", chargée d'Histoire et de gloire antique. Pour le jeune provincial qui y débarque vers la fin des années trente c'est tout autre chose : une cité grouillante peuplée de personnages pittoresques...
Ce jeune homme un peu timide (reflet du réalisateur Federico Fellini) prend pension dans un appartement populaire où l'accueille une famille modeste, bruyante, débraillée. Le soir, dans un restaurant du quartier dont les tables s'étalent jusque sur la chaussée, les clients parlent, rient, crient et mangent goulûment des nourritures lourdes.
Aujourd'hui (plus précisément : en 1971), c'est encore un autre panorama. Une circulation intense occupe les voies multiples du Boulevard Périphérique qui ceinture la ville. Un camion se renverse et prend feu. Images nocturnes, impressionnantes. Fellini, entouré de son équipe de tournage, sillonne les rues de la ville et discute avec ses habitants. Il évoque les music-halls d'antan avec leurs spectacles grotesques, leur atmosphère douteuse et bon enfant, leurs artistes minables, la joie et les disputes d'un public trivial.
Les cinéastes tournent à présent dans les sous-sols de Rome où il est question de construire un métro. Ils découvrent d'anciennes grottes ornées de fresques antiques dont les dessins s'estompent au contact de l'air. Sur les parvis des églises, au bord des fontaines, des groupes de "hippies" se vautrent, s'ennuient, s'embrassent. L'amour, en 1971, se montre au grand jour. En 1940 au contraire, il y avait d'immenses bordels, les uns luxueux, réservés à la clientèle huppée, les autres lamentables et malpropres abritant des prostituées lourdes, vulgaires, excitantes. Rome, c'est aussi la haute société, la noblesse, l'Église.
Dans un palais obscur et improbable, un parterre de dignitaires applaudit un défilé de mode ecclésiastique. Commencé avec légéreté, nonnes en coiffes trotinants, modèle sport sur patins à roulettes pour "au paradis toujours plus vite" ou sur vélo pour curés de campagne, il se poursuit par des variations sacristaines pleines d'encens et sur un ton mortifère. Puis, apparaît, dans une sorte d'apothéose dérisoire, le Pape lui-même.
Rome, c'est enfin le quartier touristique de Trastevere. Intellectuels, badauds, artistes, étrangers et marginaux s'entrecroisent, s'apostrophent, et s'attablent dans les recoins. Fellini et ses collaborateurs interwievent des dineurs et notamment l'écrivain américain Gore Vidal qui disserte sur le fin du monde et les illusions. Les hippies sont chassé sans ménagement de la place par la police. Match de boxe sur la Piazza de Renzi. Il est 2h30, Fellini s'adresse à la comédienne Anna Magnani qu'il considère comme un symbole de Rome. Elle lui conseille d'aller se coucher !
Dans la nuit, une longue cohorte de motocyclistes anonymes, bottés casqués, traverse la ville et ses plus fiers monuments puis s'en éloigne.
Fellini passe sans effort et sans transition de la nostalgie à la satire, de la truculance au lyrisme ou à l'insolite.
Cette évocation de Rome commence par les souvenirs d'un petit provincial : son instituteur franchit avec sa classe un Rubicon symbolique. En 1939, le jeune homme arrive à la Stazione Termini. Il se rend chez la populeuse famille Paletta pour y loger. En 1972, sur le périphérique une équipe de cinéma filme les embouteillages. Un autre jour les caméras de Fellini éssaient de prendre la ville d'en haut. Des jeunes gens demendent au réalisateur s'il va parler de la lutte des classes. Il répond qu'il préfère évoquer le music-hall de la Barafonda pendant les années de guerre. Là le spectacle est autant dans la salle que sur scène. De nos jours dans le métro on découvre des fresques de deux mille ans. Le film évoque ensuite deux bordels de la guerre. En 1972, la princesse Domitilla se rapelle ou imagine un défilé de mode pour religieux. Anna Magnani refuse de parler devant la caméra. Une horde de jeunes à moto traverse la ville dont plusieurs monuments apparaissent furtivement dans la lumière des phares.