Mai 1429. Jeanne prie après sa victoire à Orléans. Madame Jacqueline vient lui demander de venir auprès de l'enfant malade de son amie car sa bénédiction le sauvera. Jeanne ne le croit pas et préférerait prier mais elle accompagne madame Jacqueline
Septembre 1429. Jeanne s'apprête à ordonner l'attaque de Paris par la porte Saint-Honoré. Elle ne bénéficie plus de l’appui du roi et se trouve à la tête d’une armée qui doute d’elle. Regnault de Chartres et Raoul de Gaucourt voudraient ainsi savoir si, ce matin de bataille, elle est toujours guidée par ses voix. Jeanne affirme juste que les voix lui ont toujours ordonné de délivrer la France des Anglais. Elle s'en prend à Gilles de Rais qui voudrait piller et violer plus efficacement que les Anglais qui brulent les femmes vivantes. Jeanne convainc difficilement Messire Jean, duc d'Alençon de prendre la tête de l'armée.
Au rythme des tambours, les cavaliers s'affrontent pour la bataille de Paris
Le lendemain, le baron de Montmorency et Jeanne viennent expliquer la défaite de la veille. Gilles de Rais l'accuse de ne pas savoir commander. Jeanne se plaint des trahisons dont elle est victime. «Ô Dieu, je savais la douleur des batailles quand les assaillants fous se ruaient à l’assaut. Mais je ne connaissais pas la douleur des trahisons...»
Mais elle ne regrette pas d'être cheffe de guerre. Un héraut vient annoncer l'ordre du roi de laisser la capitale aux mains des anglais et Bourguignons avec lesquels il vient de signer une trêve
Quelques mois plus tard, Jeanne décide d'être cheffe de bande contre l'avis du roi qu'elle se désespère de convaincre de bouter définitivement hors de France les Anglais qui pillent et harcèlent des villes françaises. Une brève entrevue avec Charles VII, la convainc qu'elle devra se battre contre ses ordres.
1431, Jeanne a été battue par les Bourguignons et livrée aux Anglais qui la mettent en procès. Nicolas Loyseleur, âme faible et servile, se gargarise de formules superflues. Thomas de Courcelles, recteur de l’université de Paris, gloire théologique à la voix de fausset, aux doigts raidis, exige que Jeanne dise toute la vérité et ne garde aucun secret. Dès lors qu'elle ne veut rien dire des voix divines qui l'ont guidée, le promoteur général du diocèse de Beauvais, Jean d’Estivet, enivré par sa propre rage, se répand en accusations hystériques, pousse à la torture et à la brûlure.
Le maître questionneur trouve que le métier de la torture n’est plus ce qu’il était. Le maître serrurier lui livre les instruments propices à son office. Leurs apprentis parlent de la dignité de leurs métiers. Guillaume Evrard chante la condamnation de Jeanne à la torture : "Elle ira en enfer avec les morts damnés, avec les condamnés et les abandonnés. Elle ira dans l'enfer avec les morts damnés..."
Les gardiens de prison sont las d'attendre : Jeanne revient d'une première conduite au bûcher; les spectateurs étaient déçus. Le matin de l'exécution, maitre Jean Massieu vient s'excuser qu'on lui ait volé ses habits d'homme. Jeanne sur le bûcher va être asphyxiée par les fumées qui s'élèvent du bûcher.
Avec Jeanne, Bruno Dumont donne une suite à Jeannette (2017) et parachève un diptyque tiré de la pièce de Charles Péguy, Mystère de la charité de Jeanne d’Arc (1910). Il déterritorialise, les lieux de l'action et retrouve l'intransigeance du personnage en choisissant une interprète de dix ans. Cassant l'illustration historique, il donne ainsi au mythe une force métaphorique contemporaine.
Péguy terrestre et sublime, Péguy déterritorialisé
Les comédiens non professionnels, une majorité de professeurs d'universités et de lettrés sachant manier le texte littéraire et prendre des poses théâtrales rendent hommage à la langue et à la vision de Charles Péguy. Celui-ci écrivit en plusieurs étapes une manière de mystère médiéval consacré à la résistance spirituelle de Jeanne d’Arc. Lorsque Péguy écrit sa Jeanne, il est alors pleinement athée. Il a 24 ans et il est socialiste, universaliste, anticlérical, idéaliste. Dumont reprend à son compte cette volonté de pourfendre l’Église chrétienne et, à travers elle, toute “église”, c’est à dire tout dogmatisme. Comme Péguy, Dumont prend soin de mêler le au terrestre au sublime. Il passe en permanence de l’un à l’autre, des lettrés aux conversations entre ouvriers et entre gardes.
Orléans et Paris sont transposées sur la lande et les dunes de la baie de Somme. Un bunker de la Seconde Guerre mondiale figure le campement de la cheffe de guerre. Le lieu du procès est déplacé du morne château de Rouen à la cathédrale d'Amiens. La splendeur gothique et verticale et son dallage labyrinthique sont propices aux contre plongés ou plongées verticales sur le corps tremblant de Jeanne qui, toujours, résiste, refuse, se révolte. Les coups de masse réguliers des tambours scandent les dialogues. Les surimpressions et chorégraphies chevalines évoquent les batailles, les décadrages vers le ciel, les panoramiques sur un soleil haut et aveuglant, les chansons s’élevant au milieu de l’action, déterritorialisent le contexte historique et redonnent au mythe son immanence, son émotion de l'instant.
La puissance métaphorique de Jeanne d'Arc
Le cinéma a porté Jeanne à l’écran plus d’une centaine de fois. Thomas Edison, Georges Méliès, Carl Theodor Dreyer, Roberto Rossellini, Otto Preminger, Jacques Rivette, Luc Besson s'y sont confrontés. Renée Falconetti avait 35 ans chez Dreyer, Ingrid Bergman 33 chez Fleming, Sandrine Bonnaire 27 chez Rivette. Chez Dumont, le fait que Jeanne soit interprétée par une enfant de 10 ans, alors qu'elle est supposée être âgée de 19 ans lors de son procès, décuple l’héroïsme du personnage. C'est une enfant qui veut que son rêve se réalise et se sent habitée d'une force d'âme surhumaine. Elle se révolte contre le Mal, la violence des pillards et des violeurs. L’entièreté de son caractère et de son innocence lui donne la force de se battre à chaque syllabe contre les représentants officiels du divin. Elle regimbe dans son obéissance au Roi, elle regimbe dans sa soumission à l’Église, mais ne transige jamais dans son amour de Dieu et dans la mission de délivrer la France.
Les transpositions géographiques, les chants magnifiques, composés et, pour l'un, interprété par Christophe, la théâtralisation des comportements des hommes d'église dépassent de loin l’illustration historique pour donner au mythe une force métaphorique contemporaine. Pareillement, les refus sublimes de l’héroïne cassent l'illustration pour mieux interroger ce mythe de la résistance. Impossible de ne pas voir dans cette voix jeune et intransigeante qui interpelle les puissants, Greta Thunberg, en colère qu'on lui ait volé sa jeunesse. Jeanne pleure mais reste intransigeante.
Jean-Luc Lacuve, le 29 septembre 2019