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Un jeune homme, David Gray, arrive un soir à l'auberge de Courtempierre, village situé au bord d'une rivière. La nuit, un vieillard pénètre dans sa chambre pour implorer son aide. Il disparaît aussi mystérieusement qu'il est entré en laissant un paquet à n'ouvrir qu'après sa mort.
David répond à son appel. Dans une usine désaffectée, il rencontre de curieux personnages : un garde chasse dont l'ombre se dédouble et un médecin inquiétant qui prend soin d'une veille femme. Guidé par des ombres étranges, il parvient au château où habite le vieil homme qui lui avait rendu visite et ses deux filles, Gisèle et Léone, cette dernière gravement malade. David arrive trop tard pour sauver le vieillard qui meurt assassiné d'un coup de fusil sous ses yeux. Il réconforte de son mieux Gisèle puis ouvre le paquet laissé par le père de celle-ci : il contient un livre expliquant les méfaits des vampires et le moyen d'y remédier. Le cochet envoyé chercher la police revient assassiné.
Sur ces entrefaites, Léone a quitté sa couche de malade. On la retrouve dans le parc. Mordue au cou par une vieille femme, elle devient menaçante à son tour. Le docteur, appelé d'urgence, n'est pas moins inquiétant. Il tente Leone avec un flacon de poison qui la conduirait à la délivrance par le suicide mais du même coup à la damnation éternelle. David qui se remet tout juste de la transfusion parvient à sauver Leone du suicide.
David court chercher du secours, il s'effondre dans un champ. Parvenu à l'usine désaffectée, il voit son propre cadavre et Le médecin, Justin et Marguerite Chopin le conduire au cimetière. Ce n'était qu'un rêve. Alertés par le livre, le domestique rejoint David et tout deux se rendent au cimetière. Ils enfoncent un pieu dans le cadavre de la vieille femme étendue : Marguerite Chopin se transforme en squelette.
Au même instant, Léone est délivrée. Quant au docteur, enfermé dans un moulin, il est enseveli sous la farine tandis que David et Gisèle franchissent la rivière sur le bac. Le brouillard se dissipe et ils s'acheminent tous deux vers la lumière du matin.
Adaptation libre de deux nouvelles, Carmilla et L'auberge du dragon volant, contenues dans le recueil Les créatures du miroir (In a glass darkly) de l'écrivain irlandais Sheridan Le Fanu. Carmilla sera ensuite adaptée par Vadim dans Et mourir de plaisir. Nicolas de Gunzburg, producteur de Vampyr et interprète de David Gray sous le pseudonyme de Julian Wes, Dreyer et son scénariste Svend Rindom connaissaient Le dracula de Bram Stocker mais ont préféré adapter les nouvelles de Le Fanu écrites vingt-six ans avant. Ils ont préféré la tonalité subtile et inquiétante de l'étrange à celles plus tranchées de l'horreur et de l'épouvante.
Après Jeanne d'Arc, Dreyer voulait élargir le champ de sa réflexion sur la problématique chrétienne jusqu'au surnaturel. Le thème du vampire, païen, comporte des thématiques chrétiennes : résurrection, affrontement du bien et mal et notion de salut. Il permet un travail tranché avec une opposition entre les bons (David Gray, le châtelain et ses deux filles, leur couple de domestiques) et les mauvais (Marguerite Chopin, le docteur et Justin le garde-chasse).
Titre, lumière, dialogues et comédiens : des circonstances puis des choix qui contribuent à l'étrange
L'approche poétique du surnaturel choisie est loin de l'expressionnisme allemand ou du fantastique gothique qui sera celui de la Hammer. Le climat d'étrangeté surgit dès le titre, Vampyr, qui, ainsi orthographié, n'existe dans aucune langue. C'est une négligence imputée au distributeur. Dreyer et son directeur de la photographie Rodolf Maté souhaitaient une image très contrastée pour souligner, dans la dialectique ombre contre lumière, la lutte entre les forces du bien et du mal. De retour du laboratoire, ils eurent la mauvaise surprise de visionner une image surexposée et voilée. Ils décidèrent de garder cette lumière diffuse qui renforce l'atmosphère d'irréalité du film.
Le film est tourné en trois versions simultanées, française, allemande et anglaise. Dreyer a pu ainsi resserrer et réduire le texte comme il aimait à le faire car aucun des acteurs ne maîtrisaient les trois langues. Cette réduction des dialogues favorise la parenté avec le rêve où souvent ne se prononce aucune parole. Dreyer aimait utiliser des acteurs non professionnels car leur jeu renforce la bizarrerie de leurs personnages. Ici, seuls le châtelain et Leone sont interprétés par des professionnels.
Les archétypes de l'étrange
On retrouve dans le film les grands moments du déroulement classique des histoires du vampire. La halte dans une auberge inquiétante, le héros voyageur, les deux filles victimes idéales, le vampire et ses comparses diaboliques (le médecin et le garde-chasse), le rituel de la mise à mort du vampire (le pieu dans le cur), le livre ancien écrit par un religieux qui explique la réalité vampirique et comment y mettre fin, et même le fiacre dans la forêt et la transfusion sanguine.
Manque l'amour passion qui, dans Carmilla, est vécu sous la forme saphique dans la relation entre la vampire et sa victime. Dreyer transforme Carmilla en une Marguerite Chopin, vieille femme laide et ridée, sans doute par refus de la psychologie pour renforcer le caractère onirique et hypnotique. Sheridan Le Fanu était un admirateur de Swedenborg, théosophe suédois, pour qui tout objet réel possède son double spirituel et cet objet réel n'est que le reflet du monde immatériel qui, seul, existe. Dreyer souhaite nous conduire dans ce monde parallèle au notre et possédant sa propre logique. D'où des symboles marquants : le faucheur, image archetypale de la mort, le passeur symbole du rêve, la blancheur purificatrice de la farine qui engloutit le médecin, la roue dentelée du moulin qui incarne le destin et s'arrête lorsque le sort est joué.
Cette impression de deux mondes parallèles est renforcée par le physique bizarre de la servante, par l'homme défiguré à l'étage, le tableau macabre, ou l'incantation derrière la porte. Mais surtout par le travail sur les ombres, celle dédoublée de Justin ou des danseurs que fait stopper Marguerite Chopin et, bien sûr, le dédoublement final de David Gray dans l'usine désaffectée qui lui permet de comprendre le sort qui lui est réservé en assistant à son propre enterrement.
Dreyer y excelle là dans la capacité à filmer l'invisible. A l'image de David Gray, qui traverse le film dans un état ahuri, le film se situe dans la zone incertaine du demi-sommeil, celle du rêve ou plutôt un cauchemar dans lequel vient s'égarer un voyageur imprudent et distrait.
Les audaces visuelles sont nombreuses. Dans la scène d'enterrement, le point de vu est celui de David Gray, allongé dans son cercueil et qui voit défiler en contre plongée, par l'ouverture vitrée, le paysage extérieur qui mène au cimetière. Les jeux avec les ombres va jusqu'à celles des farfadets qui dansent sur l'herbe. La caméra, toujours en mouvement dessine des cadres toujours très précis et travaillés. Le film, défendu dès sa sortie par Marcel Carné et Lotte Eisner, sera un échec public
Source : Analyse de Patrick Zeyen, écrivain et cinéaste, sur
le DVD ci-dessous.