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Ordet

1955

Thème : Miracle

Film danois d'après la pièce de Kaj Munk. Avec : Henrik Malberg (Morten Borgen), Emil Hass Christiansen (Mikkel) Birgitte Federspiel (Inger) Preben Lerdoff Rye (Johannes). 2h03.

Dans le Jutland occidental, vers 1930. Le vieux Morten Borgen dirige la grande ferme de Borgensgaard. Son fils aîné Mikkel a épousé Inger, dont il a deux petites filles. Son second, Johannes, ancien étudiant en théologie, s'identifie à Jésus-Christ. On le croit fou. Anders, le troisième est amoureux d'Anne Skraedder, la fille de Peter le tailleur, chef intransigeant d'une secte religieuse rivale.

La discorde survient entre les deux familles lorsqu'il est question du mariage qui doit unir Anders et Anne. Morten Borgen et son jeune fils se rendent chez Peter en espérant le convaincre. Ils essuient un nouveau refus. Inger met au monde un enfant mort-né et succombe à son accouchement difficile, malgré les soins du médecin et les prières de son beau-père.

Peu avant l'enterrement, Morten et Peter se réconcilient. Le tailleur accepte le mariage. Johannes, qui s'était enfui dans la campagne en invoquant Dieu, revient parmi les siens. Mettant à l'épreuve la confiance que lui témoigne sa jeune nièce, il prononce la "Parole" (traduction du mot "Ordet") qui ressuscite Inger.

Dreyer avait assisté en 1932 à la représentation de la pièce de Kaj Munk et dès 1933, dans un article de presse, Le vrai cinéma parlant, il évoquait l’idée de la porter à l’écran. La manière qu’avait le dramaturge de poser simplement la question de la foi l’avait immédiatement séduit et le sujet d’Ordet rencontrait directement un de ses plus vieux projets, sur lequel il travaillait plus particulièrement depuis 1949 : celui de tourner une vie de Jésus.

Ordet envisage en effet la possibilité d’un nouvel avènement du Christ, en la personne de Johannes, un fils de paysan, qui tout au long du film s’exprime par paraboles énigmatiques. Ses parents, ses voisins, le prennent pour un simple d’esprit ou pour un fou, jusqu’à ce qu’il réalise à la fin le miracle de ramener à la vie sa belle-sœur, morte en couches.

C’est, de tous ses films, celui où Dreyer pousse le plus loin la réflexion qui est au cœur de son œuvre depuis La Passion de Jeanne d'Arc, à savoir la possibilité de la sainteté dans un univers dominé par les tièdes, les fanatiques et les sceptiques. Comme Jeanne, Johannes est en butte aux brimades des incrédules, parce qu’il est resté fidèle à la valeur spirituelle du message évangélique, contre son dévoiement temporel, et il faudra le miracle final, triomphe de l’amour sur la mort, pour que soient réconciliés ordre du monde et ordre divin. C'est la plus fameuse scène de miracle de l'histoire du cinéma :

"Pas un seul d'entre vous n'a eu la pensée de demander à Dieu de vous rendre Inger." (...) Non c'est vous qui le blasphémez par votre tiédeur. (...) Pourquoi n'y a t-il parmi les croyants personne qui croie ? (...) Inger tu dois pourrir parce que les temps sont pourris. (...)

-L'enfant ce qu'il y a de plus grand au royaume des cieux ! Crois-tu que je saurais le faire ?
- Oui mon oncle.
- Ta foi est grande. Qu‘il soit fait comme tu le veux. Regarde ta mère. Quand je prononcerai le nom de Jésus, elle se lèvera.

Ce dénouement inoubliable ne serait pas si bouleversant si Dreyer n’avait pas pris le parti de l’inscrire dans la réalité la plus prosaïque : les extérieurs furent tournés dans la paroisse même de Kaj Munk, à Veders, et les meubles que nous voyons dans la ferme du patriarche, Morten Borgen, sont ceux que voulurent bien prêter les habitants des environs. Dans le même esprit, le cinéaste choisit de réduire au tiers le dialogue original de la pièce, supprimant notamment tout ce qui s’écartait du langage le plus clair et le plus simple pour rester attentif aux seuls éléments qui donnaient chair à la vie concrète et sensible de ses personnages. Une bonne part des images du film peut ainsi sembler extraite d’un documentaire sur la vie de riches paysans du Jutland, dans les années 1930.

Mais, comme dans Jour de colère, l’abstraction de la mise en scène, imposant aux comédiens une diction lente et douce, saisissant leurs propos dans un demi-jour gris perle propre au recueillement, jouant avec une parfaite maîtrise de l’effet quasi hypnotique produit par de longs plans séquences cernant les personnages en plans rapprochés, déleste peu à peu ce décor de son poids historique pour l’ouvrir sur une profondeur mythique. C’est cette simplicité, cette épure du style, fruit de l’art le plus savant, qui nous fait accepter le miracle final comme une évidence bouleversante, dont l’interprétation ne reste cependant pas prisonnière d’une lecture strictement religieuse. Ordet connut un certain succès et valut à Dreyer au Festival de Venise un Lion d’Or pour son œuvre.

 

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