Des hommes, la nuit dans un cimetière avec des lampes torches à la recherche des ossements des jansénistes enterrés loin de Port Royal. Dans une grange froide eu aux murs nus, huit hommes et femmes, rassemblés, lisent des textes en ancien français des auteurs jansénistes.

Vincent Dieutre veut en savoir plus sur le jansénisme, Port-Royal et les courants de pensée du 17e siècle. Il arpente le terrain désolé de Port Royal les champs dans la vallée de Chevreuse abandonnée aujourd'hui aux coquets pavillons de banlieue, il arpente aussi la célèbre abbaye parisienne de la paroisse saint Merri. Il interroge Philippe Sellier, professeur de la Sorbonne sur la pensée de Jansénius, soutenant que la grâce du salut était accordée aux uns et refusée aux autres, dès la naissance. Cette doctrine religieuse qui refusait l'accord avec la raison avec les compromis a été combattue par les jésuites proche du pouvoir et se trouvera éclipsé par la pensée des lumières.

Dans la grange, hommes et femmes continuent de lire les textes, jouent avec eux, font des gestes amples mettent un masque s'attachent à la prononciation de l'ancien français. Que reste-t-il de ces controverses dans la nuit du Paris actuel ? Comment retrouver cet affrontement entre la brutalité d'hommes sachant leur passage sur terre très bref et la douceur obstinée des femmes inventant le langage précieux ? Qu'en reste-t-il même à Rome où se rend Vincent Dieutre étonné de cette quête devenue obsessionnelle alors qu'il n'a pas la foi ? Que reste-t-il de cette pensée à laquelle Louis XIV mit un coup d'arrêt, la jugeant républicaine ? Moins dangereuse, selon Vincent Dieutre, pour l'âme des gens que pour son pouvoir absolu. Il neige sur Versailles.

Le jansénisme persécuté laisse le champ libre aux convulsionnaires ces milliers d'hommes et de femmes dont les textes disent qu'ils avalaient leurs excréments, torturaient eux-mêmes et leurs proches singeaient la crucifixion, effrayés sans doute devant l'absence de Dieu maintenant que l'absolu de la grâce était refusé.

Dans le trafic parisien d'aujourd'hui, Vincent Dieutre s'allonge au milieu de la chaussée, s'abandonnant à la rue comme on poserait une dernière question sur la grâce, la quête historique ayant tournée au vertige. Finalement, un invité dans la grange, le metteur en scène de théâtre exigeant, le cinéaste ami Julien Green donne la morale : proposer cette doctrine à tous : aux rois, aux sages et qu'ils en fassent l'usage qui leur convient.

Le rapport au monde de l'art est une dimension importante de la constitution du personnage que Vincent Dieutre joue dans son propre cinéma. Alors qu'habituellement, le film se centre sur lui, ici les neuf dixièmes du temps sont consacrés à la foi janséniste, à sa pensée exigeante et folle. Le premier carton l'indique : "Le jansénisme débuta par de grands hommes et finit dans de sanglantes convulsions". Tel sera donc le parcourt depuis l'arrivée d'Angélique Arnauld à port Royal (1602) jusqu'aux convulsionnaires de 1732. Pourtant un second et dernier carton prévient "le réel en histoire est ce qui résiste à l'historique". Il ne sera ainsi pas question ici de refaire un Corpus christi documentaire érudit, aussi docte qu'un peu ennuyeux.

Même si le passionnant Philippe Sellier fournit beaucoup de clés de compréhension du mouvement, le film est emporté par l'implication d'hommes et de femmes qui se lèvent la nuit, armés de torches, recherchant les traces d'ossements disparus, qui arpentent la vallée de Chevreuse, qui lisent avec application des textes anciens.

Le vrai sujet du film est plus la tension vers la découverte de ce que fut cette foi que la vérité de cette foi elle-même.

La matière, l'incandescence et le fragment guideront cette quête. La matière d'abord du film : le gain de la pellicule de la caméra super 8 dès les premières images, sur certains acteurs lisant, sur le château de Versailles sous la neige lorsque tout est dit pour les jansénistes, cette fragilité ce basculement toujours possible entre la laideur et le sublime, entre des gros plan sur des visages dégoûtés de singer les confessions ou se dégageant suprêmement beaux devant un arrière plan bleuté. Ce mélange entre vidéo et super-8 mais aussi entre présent et passé (filmer Port-Royal aujourd'hui devenu hôpital Cochin et station de métro, un scooter devant le porche d'une église, les phares des voitures éclairant la paroisse saint-Merri), autant de façons d'actualiser dans la modernité une quête qui risquait de ne rester que théorie passée.

L'incandescence c'est accepter de tourner dans une grange non chauffée, la lumière des lampes, des phares, toute cette modernité fragile et bricolée assumée comme un écho à l'incandescence de la foi janséniste.

Le fragment résume probablement le mélange des matières évoqué et tous les basculements rendus possibles par la transposition dans la quête moderne de l'incandescence du passé. Fragments sur la grâce donne l'impression rare d'un film sans aucun plan inutile où chaque grain de matière où chaque son enregistré s'inscrit dans une quête exigeante dans laquelle la raison ne peut rien. Telle est probablement la source de l'intérêt de Vincent Dieutre pour ce mouvement janséniste et l'intérêt d'en parler aujourd'hui : la raison par sa puissance a effacé le sentiment de la chute que chacun parfois est à même d'éprouver. La violence de notre siècle a peut-être besoin de se régénérer à ce qu'éprouvèrent ces hommes confrontés à un choix extraordinaire. La raison est un choix. Pascal, le premier, en osa les termes dans son fameux pari. Il opta lui pour la foi mais laissa le champ libre au siècle des lumières.

Sachons nous rappeler que ce ne fut qu'un choix. Philippe Sellier le rappelle au détour de l'une de ses lumineuses explications : l'idéologie c'est de faire passer pour naturel ce qui n'est qu'une fabrication historique.

Jean-Luc Lacuve le 11/12/2006

 

Encyclopédie Wikipedia :

Le couvent de Port-Royal

Le couvent cistercien (Règle de saint Benoît) de Port-Royal fut fondé en 1204 dans la Vallée de Chevreuse, au sud-ouest de Paris. Le nom est attesté dès 1216, mais devint célèbre comme maison d'éducation après la réforme de la discipline introduite en 1602 par l'abbesse Jacqueline Arnauld. La famille Arnauld lui accorda son patronage et par la suite le couvent fut dirigé par des membres de cette famille. En 1625, des religieuses créèrent à Paris un nouveau Port-Royal, qui fut appelé Port-Royal de Paris tandis que son aîné devenait Port-Royal des Champs.

Sur le site primitif, plusieurs écoles furent fondées, connues sous le nom de Petites-Écoles de Port-Royal. Elles devinrent célèbres en raison de la qualité exceptionnelle de l'éducation qu'on y donnait.

L'atmosphère faite d'étude sérieuse et de piété janséniste attira quelques grandes figures de la vie culturelle. Racine fut élève de Port-Royal, et Pascal prit sa défense contre les Jésuites lors de la controverse janséniste. De plus, plusieurs membres importants de la cour étaient proches du jansénisme, comme le duc de Luynes ou le duc de Liancourt. Les membres de la famille Arnauld s'étaient hissés à des emplois importants comme Simon Arnauld de Pomponne, ministre de Louis XIV.

En 1634, Saint-Cyran en devint le directeur spirituel ; il était ami de Jansénius et, à partir de ce moment, les couvents et les écoles de Port-Royal se rattachèrent étroitement à cette école de théologie.

Le jansénisme

Le jansénisme est une doctrine chrétienne inspirée de la pensée d'Augustin d'Hippone. Il a été développé par Cornélius Jansen (1585-1638) dit Jansénius, évêque d'Ypres dans l'Augustinus, publié en 1640.

Le terme jansénisme, inventé par les adversaires de Port-Royal-des-Champs, fut longtemps utilisé comme un terme commode pour désigner l'augustinisme tel que le comprirent et le diffusèrent Jansénius et Jean Duvergier de Hauranne, abbé de Saint-Cyran de France.

Comme tous les mots prétendant définir de façon adéquate une pensée théologique, il est inadéquat parce que réducteur. On préfère parler aujourd'hui de l'augustinisme de Port-Royal. Cet augustinisme se diffusa en France grâce à Jean Duvergier de Hauranne, abbé de Saint-Cyran, ami de Jansénius, avec qui il partagea de longues années d'étude et de recherches à Cam-des-Prats près de Bayonne.

Lorsque Saint-Cyran devint directeur du monastère de Port-Royal, l'augustinisme qu'il professait trouva un terrain favorable pour s'épanouir par le biais de la direction spirituelle. Mais l'influence de Saint-Cyran ne se limita pas au monastère de Port-Royal ; le groupe des Solitaires, puis les Petites Ecoles, enfin les nombreuses relations et amitiés qu'il entretenait, aussi bien dans le monde ecclésiastique que dans les milieux de la noblesse et les milieux parlementaires, firent de lui un directeur recherché, au point d'inquiéter le pouvoir en la personne de Richelieu, qui avait autrefois été son ami.

Arrêté en 1638 et incarcéré près de cinq années à Vincennes, Saint-Cyran meurt quelques mois après sa libération, en octobre 1643.

Ses dirigés et ses amis assurent la pérennité de son augustinisme en lui imprimant leur marque propre : on quitte alors le premier Port-Royal. Une autre histoire commence, qui s'inscrit dans la continuité certes de Saint-Cyran, mais adopte aussi des positions que celui-ci n'eût pas entièrement approuvées.


Le jansénisme revêt une forme doctrinale, celle de Jansénius, et une forme appliquée, celle de Port-Royal, et en cela il fait partie de la Réforme catholique française.

L'homme est totalement déchu par suite du péché originel, il tend vers le Mal de façon naturelle. Cette vision de l'homme est proche de celle du calvinisme.

Seule la grâce de Dieu peut le pousser vers le Bien et le détourner de la "délectation terrestre ". Cette grâce exige de ceux qui la reçoivent une foi à toute épreuve et un combat quotidien contre le Mal : " à la morale de l'honnête homme, les jansénistes opposent celle de la sainteté " (René Taveneaux). Les jansénistes exigent de leurs pénitents, une contrition parfaite pour leur donner l'absolution. On retrouve ici l'idéal d'intransigeance de Calvin, dans la pratique de la foi.

Dans la doctrine janséniste, l'Élection est très restrictive. Il faut entendre par Élection, l'idée que l'on a été choisi par Dieu, du fait des actes, la sincérité, la manifestation de la vérité, et justement la Grâce que l'on manifeste. Le problème de la Prédestination est très important dans le Jansénisme. Cela implique que des Signes, liés à cette Grâce et à cette Élection, soient manifestés dans l'Esprit et par l'Esprit et du fait " des Plans de Dieu " et de la Révélation Divine. Mais, à condition que, dès lors que ces principes ont été appliqués, l'on soit conduit à adopter une attitude propice à la Réception Divine, à se purifier et à être Humble.

Mmalgré des attitudes rappelant le calvinisme, le Jansénisme reste un mouvement fondamentalement catholique et gallican. En particulier, il révère les saints et pratique tous les sacrements du dogme catholique, en particulier la confession et la fréquente communion.


Jésuites et Jansénistes

Jésuites et Jansénistes se sont vivement opposés tout au long du XVIIe siècle.

Leurs visions sont diamétralement opposées : les Jésuites croient au libre-arbitre alors que les Jansénistes sont fatalistes et pensent que tout est écrit à l'avance.

Les Jansénistes diffusent leur théorie via de petites écoles et ont des disciples célèbres comme Racine et Pascal.

À la suite d'un désaccord entre la Sorbonne et Antoine Arnauld, chef de file des jansénistes depuis la mort de Jean Duvergier de Hauranne, les jansénistes cherchèrent un défenseur en la personne de Pascal. C'est l'origine de la publication de l'ouvrage Les Provinciales , par Pascal, où il s'est opposé de façon intransigeante aux Jésuites (1656). Il les accuse en particulier de laxisme en raison de la casuistique.

Mais ces thèses déplaisent au pape Innocent X et à Louis XIV qui veulent unifier les chrétiens en éradiquant le jansénisme et le protestantisme. En mars 1656, le gouvernement décrète la fermeture des petites écoles. Le 19 décembre 1657, le roi tient un lit de justice pour promulguer la bulle Ad Sacram d'Alexandre VII condamnant officiellement les thèses jansénistes.

En 1679, on interdit au couvent d'accepter des novices, ce qui le condamnait à disparaître. Le couvent lui-même fut supprimé par une bulle du pape Clément XI en 1708, les religieuses qui restaient furent expulsées de force le 29 octobre 1709 et les bâtiments eux-mêmes rasésen 1711 pour éviter d'en faire un lieu de pèlerinage.


Postérité du jansénisme
La destruction de Port-Royal et la dissolution des ordres religieux qui en étaient l'incarnation fit de cette doctrine un symbole de résistance passive et non-violente à l'arbitraire royal. En effet, tandis qu'au plan religieux le quiétisme d'un Fénelon relayait auprès de l'aristocratie l'alternative au parti dévôt (mépris de la casuistique, conviction intérieure), l'éclat des Jansénistes était préservé intact:

auprès du petit peuple des villes, comme le montrent les événements des Convulsionnaires de Saint-Médard (1727-1732) ;
auprès de la noblesse de robe composant les parlements : après la mort de Louis XIV, et tout au long du XVIIIe siècle, ces magistrats se réclameront du jansénisme, et obtiendront finalement de Louis XV l'expulsion des Jésuites de France (1763).

Source : Wikipedia

 

critique du DVD
Editeur : Montparnasse, février 2009.

Suppléments :
Paris-Beyrouth, 2005/2006 Court-métrage - 6 min La capitale libanaise filmée par Vincent Dieutre.
Sur la grâce (esquisse). Spectacle donné au Centre Georges Pompidou.

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Fragments sur la grâce
2006
Avec : Mathieu Amalric, Mireille Perrier, Françoise Lebrun, Eva Truffaut, Gildas Le Den, Philippe Sellier. 1h40.
DVD chez Bach Films