Au XVIème siècle dans les Cévennes huguenotes, au temps de Marguerite de Navarre, le marchand de chevaux Michael Kohlhaas se rend au marché d'une ville importante pour vendre quelques-uns de ses plus beaux étalons. Arrêté à la frontière des domaines d'un baron, on exige de lui le paiement de droits de douanes. Kohlhaas, qui a déjà franchi maintes fois ce domaine, n'a jamais eu à payer quoi que ce soit pour cela. Le ton monte rapidement avec les serviteurs du baron et celui-ci finit par intervenir et, arme à la main, confirme au marchand la teneur des nouvelles lois. Dans le doute, l'édiction d'une nouvelle ordonnance n'étant pas à exclure, Kohlhaas laisse en otage deux de ses plus beaux chevaux et donne l'ordre à César, son fidèle valet, de veiller sur eux. Il se dirige vers la ville avec son seul serviteur, Jérémie, qui admire sa façon de lire silencieusement sa bible en français.
Le gouverneur de la ville, admire lui le cheval que Kohlhaas lui vend et lui confirme qu'il a été joué par le baron qui n'avait aucun droit pour lui réclamer une taxe. Kohlhaas s'en revient chez lui où il mène une vie familiale prospère et heureuse avec sa femme Judith et sa fille Lisbeth.
Sur le domaine du baron les chevaux sont maltraités par les serviteurs. César s'en alarme et, alors qu'il tente de les soigner, il est pris à parti par les serviteurs qui lâchent les chiens sur lui.
Revenu au château du baron avec un texte écrit prouvant l'inexistence des droits de douanes, Kohlhaas exige la restitution de ses animaux. Mal nourris et usés par les travaux de ferme, ceux-ci sont devenus décharnés et pitoyables. Kohlhaas exige de revoir César et la remise sur pied des animaux ; ce que le baron lui refuse.
La banale escroquerie dont a été victime Kohlhaas l'entraine dans des procédures auprès de la cour de la princesse. Mais la famille influente du baron fait jouer toute la puissance de ses relations et Kohlhaas est débouté plusieurs fois, de manière totalement inique. Il veut se rendre à la cour de la princesse en personne mais sa femme propose d'y aller à sa place afin d'approcher plus facilement la princesse. Elle en revient blessée à mort.
Kohlhaas devient une force vengeresse implacable. Il laisse Lisbeth à la garde d'un prêtre ami. Il vend tous ses biens pour recruter quelques mercenaires et attaque au petit matin le château du baron. Les serviteurs sont exterminés mais le baron lui échappe. Partout, Kohlhaas se proclame justicier de Dieu, arme des paysans et poursuit sa folie revancharde d'autant plus que son armée grandit et qu'il remporte des succès militaires. Toutefois, il perd César au combat et son idée de la justice au sein de la troupe l'amène à pendre l'un de ses plus fidèles partisans qui s'était livré au pillage.
Il se fait alors sermonner par un théologien célèbre qui le convainc que son combat est sans issue et lui demande d'abdiquer toute revendication. Kohlhaas veut bien déposer les armes en échange d'une amnistie mais exige un procès équitable. Kohlhaas, sur la foi de d'une telle garantie accordé par la princesse, rend les armes... peut-être un peu vite. Ses hommes, abandonnés à leur sort, ne le comprennent pas. La princesse venue lui rendre une visite surprise lui apprend aussi qu'il aurait pu renverser son pouvoir s'il avait attaqué la ville.
Kohlhaas se satisfait néanmoins de cette situation. Mais la révolte n'est pas totalement éteinte car ses anciens compagnons attaquent encore parfois un château. La princesse décide que la trêve est rompue. Kohlhaas s'enfuit avec sa fille mais finit par être rattrapé. Kohlhaas est condamné à mort même si la princesse fait en sorte qu'il ne soit pas torturé mais seulement décapité. Avant l'exécution, il est fait droit à sa demande de justice. Il revoit ses chevaux en bonne santé, reçoit un dédommagement et le baron est condamné à deux ans d'emprisonnement. Lisbeth, devenue aussi forte qu'il l'a été, le quitte juste avant qu'il ne soit décapité.
Michael Kohlhaas est adapté de la plus longue des nouvelles d'Heinrich Von Kleist. Sur un peu plus d'une centaine de pages, écrites en 1805 et publiées en 1808 puis 1810, Kleist décrit la lutte inouïe d'un marchand de chevaux, héros à la limite de la folie, pour la justice et contre les institutions du XVIe siècle dans l'Electorat de Saxe dont il menace, en quelques semaines, l'équilibre politique et social.
Arnaud des Pallières et sa co-scénariste Christelle Berthevas transplantent ce récit en France, dans les Cévennes huguenotes, à la même période, au temps de Marguerite de Navarre. Deux modifications majeures sont apportées à la nouvelle avec la création du personnage de la jeune Lisbeth et la suppression du retournement final mettant en jeu le pouvoir princier. L''interprétation magistrale du danois Mads Mikkelsen apporte une dimension de film d'aventures panthéiste qui prend le pas sur l'aspect révolutionnaire d'un récit sur la fragilité d'un pouvoir inique qu'un homme seul peut mettre à bas même s'il doit le payer de sa vie.
Une adaptation psychologisante et panthéiste
Ce qui provoque la lutte inouïe du marchand de chevaux contre les institutions de son temps est une quadruple injustice. Tout d'abord, le Seigneur local lui confisque deux de ses chevaux et les lui rend dans un état désastreux puis c'est son valet César contre lequel les chiens ont été lâchés. Dans un troisième temps, la justice, que Kohlhaas invoque, ne reconnaît pas les torts qui lui ont été causés. Enfin son épouse Judith, partie plaider sa cause chez la princesse, en revient blessée à mort. Le père et la fille sont alors amenés à se venger en levant une armée. Dans le roman, l'épouse Judith s'appelle Lisbeth. C'est justement le prénom donné à cette fillette, inventée de toutes pièces par Arnaud des Pallières. Lisbeth devient le personnage pivot du film celle censée recueillir la morale du père celui-ci une fois exécuté... Mais on se demande un peu en quoi elle consiste.
Signe des temps, la dimension révolutionnaire, de pure folie de Kohlhaas s'évanouit au profit d'une ode aux belles choses de la vie, à un exemple de comportement. Kohlhaas fait preuve de noblesse d'âme et de corps qui se traduit par sa façon d'être au milieu de superbes chevaux, de paysages grandioses. Sa beauté intérieure trouve encore un écho dans les gros plans de visages, de peau impeccablement lavée, de tissus superbes. En revanche, son ennemi le baron et ses serviteur vivent dans la saleté aussi bien morale que physique.
La caméra d'Arnaud des Pallières se fait elle-même souvent lente et majestueuse acceptant le rythme de la nature et du cycle de la vie et de la mort sans chercher de fulgurance, de surprises, ou de changements de rythme.
Une mort pour rien
La mort de Kohlhaas semble d'une certaine manière le satisfaire. Il est content d'échapper à la torture grâce à l'intervention de la princesse. C'est quand même bien peu par rapport au roman où Kohlhaas défait le prince en personne en refusant de sauver sa tête pour le défier en refusant de lui indiquer le destin de sa lignée. Lisbeth emportera sans doute sa colère mais Kohlhaas n'a rien gagné : le baron est condamné à deux ans de prison ce que le gouverneur trouve trop clément et qui n'a rien à voir avec le discrédit dans lequel tombait le pouvoir des von Tronka.
Kleist introduisait beaucoup d'ironie dans les comportements de Luther et du Prince électeur de Saxe qui cherchent, pour des raisons qui leurs sont propres, à ramener Kohlhaas dans le doit chemin des institutions. Kohlhaas, lui-même est presque fou et c'est moins lui que le récit qui est révolutionnaire en montrant la fragilité de tout pouvoir.
En psychologisant et centrant son film sur Kohlhass et sa fille, Des Pallières transforme en film d'aventures un peu poussif ce qui aurait sans doute gagné à être plus bref et plus ironique.
Jean-Luc Lacuve le 26/08/2013