Jeune et brillant employé à hautes responsabilités au sein d'une grande entreprise, Donald Beeman décide un beau jour de démissionner pour changer radicalement de mode de vie, malgré les supplications de son patron, Mr. Turnbull. Profitant de l'enseignement du maître Delasandro, il devient magicien et part en tournée.
Un jour, il croise son ex-patron, devenu entre-temps une épave. Alors que Donald lui fait son tour de magie favori, Turnbull entrevoit le moyen de refaire fortune.. Il harcelle sans cesse Donald et parviend à le récupérer et à le forcer à diriger avec lui une nouvelle entreprise dédiée au divertissement de masse.
Get to Know Your Rabbit, production Warner, est la première expérience de Brian De Palma avec un grand studio. Elle lui laissera un goût amer, lui donnant l'impression, selon ses propres dires, de n'avoir jamais vraiment pu avoir la main sur l’œuvre. S'il signait généralement jusque-là scénario et montage, il en fut logiquement, dans ce cadre de Major Company, écarté cette fois-ci.
Autant que l'on comprend la présence d'Orson Welles dans un petit rôle, probablement bien payé et amusé à l'idée de camper un grand prestidigitateur, on voit assez clairement ce qui a pu attirer De Palma dans cette histoire.
La fugue professionnelle, et donc sociale, tentée par Donald Beeman, semble découler d'un désir de vivre enfin son rêve, de se plonger dans une fiction à la fois inattendue et idéale. Le personnage franchit le pas, puis, guidé par la passion, se lance dans des aventures extravagantes émaillées de rencontres surprenantes. Il croise alors plusieurs femmes toutes plus belles et désirables les unes que les autres et dont aucune ne semble en capacité de résister suffisamment à son charme pour ne pas finir par coucher avec lui. Donald n'a pourtant pour lui que ses petits dons de magicien, sa blondeur et son sourire...
Par ailleurs, cette histoire de traversée du miroir pour s'accorder avec sa véritable personnalité s'inscrit dans une approche critique de la société américaine soumise à la marchandisation de l'art et du divertissement. L'évasion de Donald Beeman se révèle finalement illusoire, la machine entrepreneuriale le happant à nouveau et le ramenant en son ventre. Personnage qui génère lui-même sa fiction et regard ironique porté sur cet égarement au pays des apparences : voilà bien un socle thématique qui pouvait convenir parfaitement à De Palma.
La forme observable est forcément assagie, bien que la mise en scène permette un inventaire, du split-screen au « travelling-plafond », quasi-complet des habitudes du bonhomme. Le ton adopté, quant à lui, appartient à la comédie, qui n'a jamais été son terrain de jeu favori. Dans Get to Know Your Rabbit (phrase revenant plusieurs fois dans le dialogue et non dénuée de double sens, essentiellement sexuel), l'absurde est roi, au fil de séquences parfois étranges (une party dans un appartement aussi surpeuplé qu'une cabine de bateau dans un film des Marx Brothers et, cependant, étonnamment silencieuse) mais le plus souvent assez vaines. De surcroît, De Palma ne recule pas, sous prétexte de tendance burlesque, devant des gags aussi grossiers qu'un pantalon tombant sur les chevilles en pleine rue ou le trop plein d'affection d'un chien se frottant frénétiquement à la jambe du héros.
Si l'aventure inspire dans l’ensemble la sympathie (on y voit par exemple défiler des chefs d'entreprise soudainement désireux d'endosser les habits de saltimbanques), elle peine à passionner et se déroule de manière trop monotone, par un manque de variations rythmiques et une alternance trop régulière dans les décors encadrant l'intrigue. L'absurde n'y dérive pas vers la folie totale. Sur le versant comique, la fable n'est pas suffisamment drôle et sur le versant dramatique, l’ambiance n'est pas assez inquiétante, rien de très méchant ne pouvant en effet arriver au personnage principal, sinon sa récupération mercantile.
Get to Know Your Rabbit, certes pas déshonorant, ressemble à un coup d'épée dans l'eau. L’œuvre relève de la curiosité, et l'un de ses rares mérites est en fin de compte d'avoir donné envie au réalisateur (à l'image du personnage, puisqu'avec De Palma, il est toujours loisible de transposer la fiction dans le réel) de passer ensuite à autre chose.
Edouard Sivière, avril 2019 pour Zoom-arrière.