Ouverture à l'iris sur Jacky puis travelling-arrière sur la promenade des anglais sur la musique de Michel Legrand.
Paris, mercredi 6 août. Dans la banque où il travaille, Jean s'étonne que son collègue Caron ait pu s'acheter une voiture dans laquelle il lui propose de le ramener. Il a joué à la roulette à Enghien et a gagné 1,8 million. Caron a caché à sa femme qu'il avait gagné suffisamment pour s'acheter une DS. Il lui a dit qu'il avait fait un emprunt. Il ne veut pas quitter sa femme à laquelle, il a promis sur la tête de sa fille de ne plus jouer. Mais il a besoin de jouer. Caron propose à Jean de l'accompagner mais celui-ci a peur que le jeu soit comme une drogue; que l'on ne s'en sorte pas une fois le doigt mis dans l'engrenage. "On ne se détruit pas au jeu, on garde sa lucidité, on se connait davantage" réplique Caron.
Le père de Jean s'étonne que Caron l'ait ramené en DS. Quand son fils lui dit qu'il l'a gagné au jeu, il réplique sèchement qu'au jeu on ne gagne jamais. Il prévoit que Caron revendra bientôt sa DS. Tous les joueurs qu'il connait ont fini sur la paille comme Ripper qui a fait faillite et que sa femme a quitté. Il est maintenant seul et est gardien de nuit. Il le menace de le chasser de chez lui.
Le lendemain, jeudi, à la banque, Caron est désespéré d'avoir perdu au jeu. Jean prend ses vacances à partir du samedi et il le supplie de l'accompagner à Enghien. Il veut jouer seulement 5000 francs alors que Caron a emmené, 35 000 francs tout son argent disponible. Ils croisent une jolie blonde, la femme d'un industriel, qui est chassée du Casino. Caron utilise une martingale qui, le croit-il lui permet de prévoir le jeu. La mise est entre 500 francs et 15000 francs. Jean gagne, en s'obstinant sur le 13, la somme de 480 000 francs. C'est indécent, six mois de salaire en moins d'une heure (on peut aussi tout perdre en 10 secondes) Caron lui propose de passer ses vacances dans le sud et non en famille dans le Loiret comme d'habitude. De l'argent pas mérité, un peu come si on l'avait volé.
Il annonce à son père qu'il ne partira pas dans le Loiret et qu'il a gagné de l'argent au jeu. Il veut cesser d'être un petit garçon studieux et poussif. Le jeu est immoral mais pas plus que la misère et la laideur. Son père le chasse. Jean arrive à Nice. Il fait gagner Jackie, la jolie blonde croisée à Enghien, en la faisant jouer comme lui sur le 3, puis sur le 17. Il gagne encore en tout 850 000 pour Jackie et 900 000 pour lui. Elle lui avoue avoir joué jusqu'à son billet de train. Elle n'admet pas qu'il l'ai vu à Enghien où elle prétend n'être jamais allée. Ella a envie de ce qu'il y a de mieux : terrasse, orchestre et champagne. Une existence qui pour Jean n'existait plus que dans les films ou les romans américains. Jacqueline lui avoue que Pierre, son mari, était jaloux de sa passion pour le jeu. Elle a divorcé et perdu la garde de son enfant. Elle insiste pour retourner au casino où ils perdent tout en quelques minutes. Ils ont encore un peu d'argent pour un verre dans un bar. Elle pourrait dormir dans la salle d'attente de la gare. Il l'invite chez lui. Elle reconnait n'être pas farouche et avoir été chassée à Enghien. Elle le supplie, en l'enlaçant, de lui donner le courage de partir le lendemain.
Le lendemain, à peine sortie du lit où elle a passé la nuit avec Jean, Jackie est décidée à partir, à demander de l'argent à son amie Marie-Jo. Celle-ci jouait autrefois avant de se faire interdire elle-même l'entrée des casinos. Jean lui donne rendez-vous sur la plage avant son départ. Elle vient avec 20 000 francs prêtés par Marie-Jo. Mais incorrigible, elle veut jouer pour tenter de se refaire. "Michou, quand j'y pense, j'ai l'impression de l'avoir joué lui aussi". dit-elle décidée en dépit de tout. Jean refuse de jouer avant le soir mais ne trouve plus de goût à la baignade. Il la rejoint au casino où elle a déjà tout perdu et se laisse draguer. Jean demande 20 000 francs en jetons. Elle joue le 23 avec l'homme qui la laisse quand il voit Jean. Celui-ci lui fait une crise de jalousie mais elle gagne et le remercie de sa présence. Il insiste pour jouer le 8, ils gagnent, puis le 6; ils gagnent. Ils gagnent 4,2 millions : "C'est fou, c'est au moment où l'on croit que tout est perdu que tout s'arrange". Le lendemain, elle lui propose d'aller à Monte-Carlo récupérer ses bijoux, loger à l'Hôtel de Paris qu'elle lui paiera s'il achète une voiture. C'est dans la joie qu'ils achètent costume, robes de soirée, voiture, une MG à 1,2 million et prennent une suite avec terrasse à l'Hôtel de Paris. Le luxe l'amuse mais elle ne souffre pas d'en manquer. Elle ne joue pas pour gagner de l'argent, sinon elle ne le gaspillerait pas quand elle en a elle. "Ce que j'aime justement dans le jeu, c'est cette existence idiote faite de luxe et de pauvreté et aussi de mystère, le mystère des chiffres, le hasard. Je me suis souvent demandé par exemple, si Dieu régnait sur les chiffres... Quand je suis rentré pour la première dans un casino, j'ai eu l'impression d'entrer dans une église. J'ai ressenti la même émotion... J'essaie de t'expliquer pourquoi le jeu est devenu ma religion. Le gain, l'argent ne signifient rien pour moi ; ni cette robe, ni cette chambre, rien. Un jeton, un seul jeton me rend heureuse, le reste...Puisque cette passion m'aide à vivre pourquoi m'en priverais-je au nom de qui, de quoi de quelle morale ? Je suis libre."
Ils se disputent car il craint qu'elle ne le considère pas pas plus qu'une table ou une chaise. Elle lui dénie le moindre droit sur elle. "Nous sommes complices d'un jeu, tenons-nous en là. Je te traine derrière moi comme un chien parce que tu me portes chance, comme un fer à cheval". Il la frappe. Ils jouent, ils perdent 900 000 et 700 000 francs. Ils se saoulent jusqu'au matin et décident de rentrer à Nice. Il rentre en train car Jackie a volé et perdu les 10 000 francs que Jean gardait pour payer l'hôtel. Il a du vendre la voiture. Il lui reste 360 000 francs. Il promet de jouer pour la dernière fois. Ils perdent. Elle est désespérée, reconnait qu'elle ne peut emprunter à personne, pas plus à Marie-Jo qu'à son mari. "J'ai peur, je lutte. Je sens que la pourriture envahit tout à l'intérieur de moi. Je mens, je trahis, je salis tout ce que je touche."
Jean demande de l'argent à son père. Lorsque le mandat de 50 000 francs parvient à la poste de Nice, Jacqueline refuse pourtant de suivre Jean à Paris. Ils pourraient vivre quelques temps heureux ensemble, mais elle aura toujours envie de jouer. Jean va chercher le mandat mais quand il revient, Jacqueline est partie. Il la sait au casino où il court la rejoindre. Il la supplie de partir avec lui. Elle le chasse, de peur qu'il lui porte malheur mais le regrette aussitôt. Elle court le rejoindre et ils sortent ensemble du Casino alors que la caméra recule à l'intérieur de celui-ci.
A la différence de Lola (1961), son précédent film et de nombre de ses succès futurs, Demy renonce ici à ses intrigues en miroirs, faites d'entrelacement des destinées parallèles. Rien ne vient se greffer sur l'histoire de Jean et de Jackie. Le hasard, qui préside aux films de Demy, n'a ici rien d'agréable ou de séduisant. Il s'agit là d'une passion dévorante qui fait oublier toute prudence et fait approcher l'absolu fut-ce au prix de la chute. L'enfer du jeu devient un enfer moderne de la mythologie : Orphée doit s'aventurer pour sauver celle qu'il aime. A preuve, l'initiateur cynique, le collègue de Jean, Caron, avatar moderne du passeur des enfers. Et surtout les deux travellings-arrière qui l'un ouvre le film et l'autre le clôture, disent l'inexorable puissance d'attraction et d'écrasement du Casino, symbole du jeu et de la dévotion hasardeuse à un Dieu tout-puissant. Les surimpressions et les fondu-enchainés magnifient toutefois ce parcourt tragique de deux êtres transportés par une passion qui les malmène.
Eurydice restera aux enfers
Le film débute par un travelling arrière, magnifique, sur la musique lyrique de Michel Legrand, avec une ouverture à l'iris de Jackie, seule sur la Promenade des Anglais. Mais ce travelling est aussi assez étrange puisque l'action débute à Paris le 6 août.
A la fin du film, Jackie demande à Jean de l'abandonner à son jeu puis se ravise et court le rattraper. Dans un plan d'ensemble pris depuis l'intérieur du Casino, elle prend la main de Jean, et le cinéaste réalise un brutal travelling arrière, la caméra reculant dans le Casino tandis que le couple semble s'éloigner vers la sortie. Jacqueline a beau quitter les lieux, le mouvement de la caméra l'y retient, l'y enfonce paradoxalement. Le Casino, symbole du jeu et de la dévotion hasardeuse à un Dieu tout-puissant (le personnage de Jeanne Moreau compare ce temple du hasard à une église), achève d'exercer son inexorable puissance d'attraction et d'écrasement.
L'enfer du jeu s'exerce des l'entrée du casino, dans son hall où le jeu de glaces produit des reflets qui apparaissant et disparaissant en une fraction de seconde pour se recomposer et se dématérialiser à nouveau. Le joueur est menteur : il est multiple, aussi inconstant qu'insaisissable.
Sortir d'une vie étriquée pour vivre une passion fusionnelle
Le père représente la figure raidie de la justice, figure du temps entouré d'horloges qu'il prétend gouverner. Le film joue du dilemme universel entre la voie de la sagesse, incarnée par le père et celle de la tentation du voyage, et de l'aventure.
Lorsque Jean joue avec Caron à Enghien, une première surimpression fait fusionner la roulette et le visage de Jean. Son personnage se transforme alors. Il refuse d'être "un petit garçon studieux et poussif" qui va passer ses vacances en famille dans le Loiret. Les surimpressions auront lieu encore les deux fois où Jean et Jackie gagnent à la roulette. La troisième séquence de surimpression fait fusionner les visages de Jean et Jacqueline.
Lorsqu'il referme la porte et s'en va pour Nice, Demy utilise pour la première fois le fondu-enchainé qui va devenir la figure récurrente de ses transitions où tout est désormais fusion, voyage et transformation. L'existence de Jean, trop étriquée, qu'il cassa une fois en refusant de se marier, devient celle d'un personnage de film ou de roman américain.
Jean-Luc Lacuve, le 2 octobre 2017