Dans la campagne un soir de pluie. Servet s'endort au volant de sa voiture et renverse un homme. Il se cache tout près alors que des automobilistes dépassent le corps étendu tout en notant le numéro de la plaque de la voiture coupable.
Eyüp est appelé au téléphone chez lui au petit matin par son patron, Servet. Celui-ci lui propose de se déclarer coupable de l'accident. Eyüp est le chauffeur de Servet et risque au maximum de six à douze mois de prison. En contrepartie, il continuera de toucher son salaire et recevra une grosse somme d'argent à sa sortie de prison. Servet ruinerait sa carrière politique en assumant l'accident : il est engagé dans une bataille politique importante qui lui permettra de devenir député dans quelques semaines.
Eyüp accepte et se retrouve en prison. Il reçoit la visite de son fils Ismail auquel il prodigue des encouragements pour ne pas échouer une seconde fois à son examen d'entrée à l'université.
Rien n'y fait pourtant et Hacer, sa mère, ne peut que déplorer qu'il passe des journées entières à dormir après son échec. Ismail a pourtant en tête un travail qui lui plairait : conduire les enfants à la crèche chaque matin et soir. Pour cela, il a besoin d 'une voiture. Hacer refuse d'aller demander une avance à Servet sans que Eyüp ne soit au courant. Elle s'y résout pourtant lorsque Ismail revient ensanglanté après une bagarre avec la bande de petits voyous qui sont ses nouveaux amis...
La beauté de chaque plan est en adéquation avec l'intensité physique et psychologique quasiment permanente tout au long du film.
Economie narrative avec ellipses
Il n'y a pas de surprises dramatiques en dehors du strict enjeu humain qui est le sujet du film. Eyüp est ainsi condamné à neuf mois, moyenne exacte de ce que lui avait indiqué son patron. Malgré l'échec aux législatives de celui-ci et ses difficultés financières, la somme prévue sera versée quand même.
Les ellipses narratives passent au-dessus des explications inutiles et convenues. Ainsi, une fois qu'Eyüp accepte la clé de la voiture donnée par Servet, il se retrouve directement en prison. Ceylan nous épargne les explications données à sa femme et son fils, pour aller directement à la scène où le père en prison sait que les encouragements donnés à son fils ne seront pas suffisants pour le pousser à travailler à son concours d'entrée. De même la scène où Servet ramène en voiture, suffit à faire sentir leur mutuelle attirance physique. La scène qui les réunit pour la première fois ensuite aura un tout autre enjeu, celui de leur découverte par Ismail.
L'économie de moyens narrative permet un formalisme de l'image qui ne vient pas pour être remarquée et provoquer des effets maniéristes mais qui indique, avec ses ciels assombris, la détresse morale des trois membres de cette famille. Le fils fait semblant de ne pas voir sa mère, le père et la mère font semblant de ne pas comprendre les silences de leurs fils. Selon la fable connue en Turquie, ils font es trois singes. Le père, la femme et le fils font semblant de ne pas entendre, de ne pas voir mais la violence ressurgit.
La violence des pulsions
Le fils est celui qui éprouve le plus la tension entre le trio constitué du mari de la femme et de l'amant. C'est sur lui que pèsent les visites à la prison, les reproches de la mère et la répulsion pour l'amant de sa mère. La sueur, le sang et le vomie sont son lot. S'ajoute à cela la culpabilité d'avoir perdu son frère qui revient le travailler dans un cauchemar. Ceylan suggère aussi qu'il voit la scène où sa mère se traîne aux pieds se son amant ce qui explique son passage à l'acte envers Servet.
Ce terrible surgissement de la pulsion, Eyüp l'assumera finalement avec finesse psychologique et grandeur d'âme. Il profite de la situation économique de Bayram comme Servet avait profité de la sienne. Le dernier plan suggère aussi qu'il a retrouvé une grandeur morale. Debout sur la terrasse de l'immeuble solitaire noyé de pluie, il a sorti sa famille du cauchemar où son absence l'avait plongé.
Jean-Luc Lacuve le 18/01/2009