Nora Sator, jeune trentenaire dynamique, commence sa carrière dans la haute finance. Son premier matin chez Ab-finances, elle se trompe de bureau, rencontre d'abord Barsac, le premier associé qui la met en garde contre les radotages du second associé, Prévôt-Parédès. De retour de l'entretien, Barsac lui faire cadeau d'un premier contact à prendre et, comme il y a concurrence sur cette affaire, d'un second tuyau. Ainsi, lorsque Nora rencontre le PDG Van Straten, qui cherche à développer son réseau de distribution, son collègue Xavier, qui se croyait seul sur l'affaire, est-il surpris. Et ce d'autant plus qu’elle propose un petit spectacle de sa sœur, Maya, comme distraction pour l’homme d'affaire pressé. Xavier est encore plus estomaqué quand, ayant échoué dans ses propositions commerciales, Nora propose à Van Straten de racheter une entreprise qui périclite, celle des frères Méchain mais qui dispose d'un solide réseau de distribution. Elle prétend avoir eu connaissance de cette affaire dans son précédent poste.
Le soir, alors que sa sœur chante sa chanson " Je ne reviendrai pas", dans le club, Nora est surprise de voir arriver Xavier.
Le lendemain, Barsac est heureux de voir l'affaire Van Straten bien engagée. Comme Zeligmann s'était montré réticent, il le rétrograde au profit de Nora qui se retrouve propulsée à l'étage des cadres. Le soir, Barsac l’invite au restaurant puis chez lui afin d'y expertiser des comptes. Nora fait la connaissance de sa femme, Solveig, et de la femme de ménage, l'Haïtienne Ezilie. De son coté, Xavier a tenté de la retrouver au bar de Maya. Celle-ci tente de séduire Xavier, qui l’embrasse mais résiste à son invitation.
Le matin, Solveig qui suit des cours de Khmer, conduit Nora au travail. En chemin elle lui révèle avoir bien connu son père lorsqu’elle était étudiante. Elle conclut qu'il était intelligent mais con. Nora ne supporte pas ce qualificatif et descend de voiture pour poursuivre son chemin, seule. Solveig, ébranlée par cette rencontre, demande par message privé sur Facebook à Serge de se revoir.
Nora revoit Serge dans son grand appartement parisien, mal entretenu. Pour Serge, le choc est si fort qu’il fuit laissant Nora, interloquée, le rechercher dans l'appartement d'à côté, refait par des ouvriers polonais.
Xavier et Nora réussissent à convaincre les frères Léon et Alexandre Méchain de vendre leur affaire. Xavier embrasse Nora et ils deviennent amants. En rentrant, Nora doit faire venir les pompiers pour sortir son père de son appartement où il s'est retranché. Il est nu et évanoui. A l’hôpital, il lui affirme plus que jamais son mépris de se compromettre dans la finance et de renoncer à la vie. Nora réplique que c’est lui qui a renoncé.
Lorsque Nora apprend que Xavier a tenté de séduire Maya, elle rompt sans que Xavier puisse se défendre. Comme il insiste encore au bas de l’immeuble, elle le gifle. Prévôt-Parédès, qui avait appelé Nota "la fille de l'étalingure", lui révèle que les frères Méchain pourraient bien avoir des actionnaires gênants pour conclure l'affaire. Et Nora découvre effectivement qu'Ab-Finances détient des parts dans un cabinet d'audit qui a expertisé l'entreprise des Méchain rendant Ab-finances juge et partie dans la transaction qui s'annonce. Nora accepte néanmoins que l’affaire se fasse pour permettre à Xavier de toucher sa commission.
En rentrant chez elle, Nora confie à Ezilie avoir aimé deux hommes diamétralement opposés. Elle aimait celui qui écrivait des poèmes, Serge, mais a épousé le solide et entreprenant Barsac. Celui ci avait publiquement humilié Serge en diffusant les photocopies d'un poème calamiteux ou l'étalingure, extrémité de la chaîne d'ancre du côté du navire, lui servait de métaphore dans son lien qui l'unissait à Solveig.
Ezilie arrive chez Nora pour lui remettre le poème de son père en lui indiquant qu’il s’agit d’un poison. Nora comprend qu’on s’est moqué autrefois de son père. Au moment crucial de la signature par Van Straten du contrat, elle révèle le conflit d’intérêt. Van Straten décide d’acheter quand même mais en profite pour déclarer qu’il ne paiera pas la commission au cabinet financier. Barsac, en colère, vire Xavier et Nora. Mais, désavoué par les actionnaires majoritaires américains, c'est lui qui est mis sur la touche. Zeligmann reprend l'affaire en main, proposant à Nora de devenir son associée. Xavier est dégoûté de cette ascension et part en claquant la porte. Nora tente de le poursuivre mais se brise la cheville. Pour la troisième fois elle a la vision d'un chien loup menaçant.
Quelque temps après, Xavier vient chercher Nora au bas de chez elle, grâce à la complicité de Maya. Celle-ci, dans sa boite de nuit, chante "Gare du nord" en hommage à son père.
"Tout de suite maintenant" est le mot d'ordre de la finance. Cet impératif résiste encore chez Nora, contrebalancé par la beauté du désintéressement pur, du temps long de la recherche mathématique qu'incarne son père. Cet aspect freudien d'un portrait de femme se résout hélas banalement, dans une histoire d'amour convenue, alors que les ainés, cinéaste compris, sont abandonnés à leurs frustrations.
Freud, Bouddha et vaudou dans le monde la finance
Le milieu de la finance dans lequel évolue Nora exacerbe le sentiment de menace permanente qui pèse sur elle. D'apparence froide et inflexible, Nora cache une fragilité profonde : sa mère l'a abandonnée et comme, elle le dit, la réussite la rend triste. Sans doute est-ce une réminiscence du retrait social de son père qui se considère comme un raté. La vision du chien loup s'impose à elle trois fois comme le symbole d'un destin tragique pouvant survenir à tout instant. C'est d'abord la nuit lorsqu'elle a réussi l'audit demandé par Barsac sans être tombée dans le piège sexuel qu'elle avait d'abord craint. Lorsqu'elle s'endort, confiante sur l'épaule de Xavier dans le train, elle est réveillée par cette vision, pressentiment du coup de fil de sa sœur, inquiète de la situation de leur père, retranché dans l'immeuble. Enfin, lorsque la cheville brisée, elle doit renoncer à suivre Xavier, la troisième vision du chien-loup marque son échec amoureux.
La magie intervient aussi avec la domestique Ezilie, autre nom d'Erzulie divinité du vaudou, esprit de l'amour, qui va servir d'instrument du destin lui apportant, sans pourtant avoir eu connaissance de son adresse, le poème où elle comprend pourquoi Prévôt-Parédès la surnommait "la fille de l'étalingure".
Prévôt-Parédès, figure effacée du trio d'hommes qui aima Solveig, se tient en retrait de la finance qui a pris dorénavant pour lui la figure fascinante et terrible du banian, arbre qui phagocyte un autre arbre, l’enserre et grandit aux dépens de son tuteur jusqu’au moment où celui-ci meurt étouffé. Mais le Bouddha aurait atteint l’éveil sous un banian et la Bhagavad-Gitâ en fait l’arbre de la connaissance suprême. Bonitzer ne fait donc pas de la finance le milieu démonique du monde présent. Seulement est-elle une activité dangereuse, frôlant souvent les frontières de l'illégalité.
Pour un étalage de frustrations
Dans ce milieu bien décrit, dans cette histoire bien vissée, les enjeux amoureux, esthétiques et sociaux de tous les personnages, presque trop nombreux, sont attachants mais finissent par se déliter. Après avoir fait frôler tous les dangers à son héroïne, celle-ci s'en sort indemne : Nora gardera probablement son poste et son amoureux. Elle continuera sa vie dans la finance parallèlement à celui de sa sœur, petite artiste de variété plus sensuelle (elle est amoureuse du bel ouvrier polonais). Prévôt-Parédès perd un œil. Solveig, dorénavant sans espoir de le garder à l'esprit ainsi que Serge, délaissée par Barsac, s'enfoncera davantage dans l'alcoolisme. Serge, définitivement purgé de son souvenir de Solveig, efface les formules des chaînes de Markov et du théorème ergodique sur son tableau ; vers quel avenir ?
Par deux fois, Bonitzer laisse son histoire en suspens. C'est d'abord Serge qui disparait laissant Solveig en plan et qu'on ne retrouve que plus tard, après les séquences de négociation avec les Méchain barricadé chez lui. C'est ensuite Prévôt-Parédès qui met son arme sous le menton et dont on apprend bien après qu'il a tiré... perdant un œil. Il y a bien effets de mise en scène chez Bonitzer : il laisse au spectaeur le soin d'imaginer une suite. Mais celle-ci se résout ensuite banalement. C'est à tout le problème d'un cinéma qui manque d'envie de trouver à la fois une forme et un sujet et qui se contente de tricoter habilement une histoire, occasions d'excellents numéros d'acteurs.
Jean-Luc Lacuve le 29/06/2016