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38 témoins

2012

Thème : Normandie

Avec : Yvan Attal (Pierre Morvand), Sophie Quinton (Louise Morvand), Nicole Garcia (Sylvie Loriot), François Ferroletto (Le capitaine Léonard), Natacha Régnier (Anne), Patrick Descamps (Petrini). 1h44.

De gros porte-containers entrent dans le port du Havre. Dans la ville, la nuit route de Paris, la police découvre une femme ensanglantée sur le porche de son immeuble. Le lendemain de bon matin, toute une escouade de policiers vient interroger les habitants de l'immeuble d'en face. Personne n'a rien vu ou ne répond tel Pierre Morvand qui examine la carte de visite que l'officier de police a glissée sous sa porte. Pierre Morvand est pilote pour les gros porte-containers qu'il guide de l'entrée du port jusqu'au quai.

Louise Morvand, sa jeune épouse, employée d'une entreprise d'import-export, arrive de Chine et assiste aux premiers témoignes de l'émotion de la population devant l'assassinat de la veille. Des anonymes déposent des fleurs sur le lieu du crime. Le capitaine Léonard chargé de l'enquête sonne à sa porte afin d'obtenir son témoignage ou celui de son mari et lui donne quelques détails sur le crime.

Louise rejoint alors son mari sur le port qui lui affirme être rentré très tard la nuit dernière alors que la police avait déjà découvert le corps. Il l'emmène avec lui près d'un gros cargo qu'il fait entrer dans le port.

Le lendemain matin, Pierre est étrangement mutique et dit, en partant travailler, craindre un drame à venir au sein du couple. De retour à l'appartement, Louise reçoit la visite de Sylvie Loriot, journaliste, qui lui pose les mêmes questions que la police mais lui révèle aussi l'horreur concrète du crime.

Le soir, Pierre rentre très tard et, devant sa femme endormie, lui avoue avoir menti. Il était là la veille et a tout entendu des cris de la victime sans pouvoir bouger. Au matin, elle voit Pierre endormi sur son fauteuil près d'elle. En sortant, elle passe devant le lieu du crime et titube. Elle repousse une jeune femme qui s'inquiète pour elle mais accepte l'aide de Sylvie Loriot. Un médecin lui signe un arrêt de quinze jours. Sylvie a écrit un papier, Le deuil, où elle décrit la cérémonie religieuse qui va avoir lieu. Devant sa compréhension satisfaite des événements, Louise s'emporte et la chasse. Elle tente de rejoindre Pierre sur le port en esquivant les grues de déchargement. Au matin, alors qu'il débarque d'un cargo, elle lui avoue avoir entendu sa confession de la veille et lui demande la vérité. Pierre esquive mais finit par lui révéler qu'il a tout entendu. Le couple décide de ne rien dire.

La cérémonie religieuse a fait le plein. Pierre et Louise sont restés chez eux. Un papier de Sylvie Loriot, qui reprend les conclusions de l'autopsie, apprend à tous le calvaire subi par la jeune étudiante assassinée dont l'agonie a été très longue et qui aurait pu être sauvée par une intervention après son premier cri. C'est est trop pour Pierre qui, malgré les supplications de Louise, va se livrer à la police.

Le commissaire hésite à croire Pierre mais comprend bien que, face à tous les autres qui ont intérêt à mentir, lui seul doit dire la vérité. Ce que confirment bientôt les témoignages des habitants qui, pour la plupart, s'écroulent en larmes mais avouent. Pierre devient l'objet de la vindicte des locataires. Cependant le procureur refuse de mettre en accusation les 38 témoins craignant un trouble à l'ordre public ("Un témoin qui se tait, c'est un salaud. Trente-huit, c'est M. Tout-le-Monde. Je ne poursuivrai pas.")

Léonard est scandalisé par cette attitude et informe clandestinement Sylvie Loriot. Avant de publier son article, la journaliste rencontre le procureur dont elle comprend la position sans la partager. C'est finalement Pierre, auquel elle a donné rendez-vous sur la plage, qui la convainc de publier puisqu'elle ne fait que révéler la vérité et que c'est justement son métier de le faire. Dans un dernier remord, Sylvie prévient aussi Louise.

L'article de Sylvie Loriot est repris par toute la presse française. Mais le pire est à venir pour les 38 témoins avec la reconstitution et les cris de la victime que Pierre décrit avec précision. Même Louise, qui était jusque la restée proche de son mari, lui annonce qu'elle le quitte.

Si le film est une œuvre de combat, c'est moins pour dénoncer la lâcheté des 38 témoins qui seront restés passifs puis muets devant le crime que pour réveiller par de terribles cris d'effrois la conscience du spectateur, enjoint de juger inacceptable pour lui-même une telle attitude. Le choix particulièrement approprié des décors et la terrible reconstitution repoussée à la fin du film sont les deux éléments les plus forts de l'appel à la vigilance et à la responsabilité que nous adresse Lucas Belvaux.

Entre la plage et le port.

Le rectiligne alignement des immeubles de la rue de Paris au Havre résonne avec le froid silence de ses habitants puis avec la décision nette de Pierre. Le port avec ses balais d'énormes cargos allant et venant, ses grues de déchargement comme une menace toujours latente est le lieu choisi pour la rencontre entre la journaliste et le policer dont la connivence permettra de faire éclater le secret que voulait étouffer le procureur. Le décor de la plage déserte est aussi le lieu de rencontre adéquat entre les deux fantômes que sont alors la journaliste s'interrogeant sur le bien fondé de sa révélation et de Pierre qui demande à sortir de son silence.

Entre le silence et le cri.

C'est finalement Pierre qui convainc la journaliste de publier puisqu'elle ne fait que révéler la vérité et que c'est justement son métier de le faire. Pierre accorde moins d'importance à la comprehension qu'au jugement et c'est bien ce qui est demandé au spectateur. On comprend bien cette apathie généralisée au milieu de la nuit qui a pétrifié les habitants. Elle est du même type que celle qui paralysa Lord Jim dans le roman éponyme de Joseph Conrad. Chacun se voudrait un héros et, au moment d'agir, la décision ne vient pas. Lord Jim paiera du reste de sa vie cette faute qu'il parviendra pourtant à racheter par son attitude devenue héroïque. Mortifère est en revanche le choix du silence, que privilégient les habitants et le procureur, qui étouffe toute possibilité de libération et de rédemption.

Ainsi, Belvaux ne charge pas les 38 témoins, tous au bord de la rupture psychologique après leur lâcheté collective. Mieux même, il semble adopter leur point de vue avec l'attitude de Louise, substitue du spectateur, qui fait tout pour empêcher son mari de témoigner.

Mais ni les larmes de Natacha, ni la folie violente d'un voisin au corps lourd, ni le retour de la honte qui saisit Petrini ne seront une expiation suffisante. Pierre lui a déjà décidé de partir. La cassure après une telle lâcheté est nette et sans appel. Comment oublier la terrible plainte de la jeune victime, ses cris déchirants au fond de la nuit ? Belvaux vient rappeler dans une société de plus en plus apathique qu'il importe de toujours veiller et piloter sa vie ; que, chaque jour, il faudra éviter de se trouver dans la peau d'un lâche car il n'y alors pas d'échappatoire possible aux remords éternels.

Jean-Luc Lacuve le 18/03/2012.

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