Par une belle journée d'été, dans leur maison familiale de Valmondois, les enfants d'Hélène Marly sont venus lui souhaiter ses 75 ans. Il y a là Frédéric, l'ainé, économiste, marié à Lisa avec laquelle il a deux enfants, Pierre et Sylvie ; Adrienne, la cadette qui désigne de beaux et chers objets à New York ; Jérémie, le benjamin, marié à Angela avec laquelle il a deux enfants, s'en va le lendemain pour Shanghai diriger la fabrication de baskets puma à bas couts. Bien que très différents, les enfants s'entendent bien et offrent les cadeaux à leur mère, téléphone, plaid et surtout l'édition américaine du livre consacré au célèbre peintre Paul Berthier. Hélène a consacré sa vie à œuvrer à la postérité de son oncle, et elle promet à ses enfant de se retrouver bientôt à San Francisco pour la grande rétrospective de son oeuvre qui va être organisée.
Hélène, cependant, sent sa fin prochaine et n’a d’autre souci que d’organiser sa succession. Sa maison est un véritable petit musée : tableaux de Jean-Baptiste Corot, panneaux décoratifs d’Odilon Redon, bureau "Orchidées" de Louis Majorelle, armoire de Josef Hoffmann. Elle tente d'alerter Fréderic qu'il faudra bientôt vendre tout cala. Il s'offusque tant la maison représente pour lui la permanence de la famille au travers de toutes ses générations. Ses enfants une fois partis, malgré la prévenance d'Éloïse, la gouvernante qui veille sur elle depuis des années, Hélène déprime, seule dans le noir.
Quelques mois plus tard, Hélène est morte. Fréderic réunit dans son appartement parisien son frère et sa sœur après l'enterrement. Il est encore persuadé que tous souhaitent garder la maison familiale. Mais Jérémie annonce que sa famille va s'installer pour de longues années à Shanghai et Adrienne qu'elle va se marier avec James, son ami newyorkais. Il faudra donc vendre la maison. En discutant de l'exposition de San Francisco où tous s'étaient rendus, Frédéric refuse d'admettre que sa mère était amoureuse de son oncle bien avant la mort de leur père, un riche marchand de chauffage humble et sans charisme.
Quelques temps plus tard Fréderic, Adrienne et Jeremy ont rendez-vous chez le notaire ; la rencontre est brève. Fréderic s'offusque un temps que Jérémie ait déjà contacté un agent immobilier mais se réconcilie immédiatement avec lui alors qu'Adrienne est déjà repartie pour New York. Lui-même a bien du mal à valoriser à la radio son essai d'économie à la fois trop technique et trop polémique. La succession sera couteuse et seule une dation d'objet d'arts au musée d'Orsay permettra d'en régler les frais. Fréderic est convoqué au commissariat où Sylvie, sa fille, s'est fait prendre à vole des vêtements au sein d'une petite bande et à posséder quelques grammes de haschisch.
Les experts du musée d'Orsay viennent préparer la dation dans la maison de Valmondois qui va être vendue sous peu. Michel Waldemar, un ami d'Hélène qui dirige cette commission confirme à Frédéric que Paul Berthier a été passionnément amoureux de sa mère. Frédéric souhaite qu'Héloïse emporte un souvenir d'Hélène, elle choisit un vase de Braquemart, dont elle se servait au quotidien sans en réaliser la valeur.
Le temps a passé, Le mobilier est désormais exposé au musée d'Orsay. Fréderic s'en désole le trouvant coupé de la vie et comme en prison. Lisa le réconforte ; beaucoup de personnes en apprécieront la vue. Ils goutent dans la cafeteria du musée évoquant la fête que donnera bientôt leur fille Sylvie dans la maison de Valmondois juste avant sa vente.
Les jeunes gens arrivent de Paris pour la grande fête et investissent la vieille maison du bruit de leurs moto, de la sono et boivent et fument joyeusement. Sylvie pense à sa grand-mère qui, lorsqu'elle était enfant lui disait qu'elle profiterait sa vie entière de la maison. Mais la nostalgie se dissipe vite et, franchissant le mur de la propriété pour être seule avec son ami, Sylvie s'en va dans la vaste campagne.
Méditation douce amer sur le temps qui passe, qui oblige à accepter la perte des refuges d'autrefois, L'heure d'été fait davantage confiance aux jeunes générations qu'aux symboles de l'art pour échapper à la nostalgie
Le temps perdu
Commencé sur le ton joyeux du film choral familial de l'été, le film bascule petit à petit dans une chronique douce amère d'un temps qui ne sera plus celui que l'on croyait éternel. La beauté du film tient à la saisie de ce temps en fuite qui se saisit d'autant mieux qu'il laisse intacts le sentiment fraternel qui unit les trois enfants d'Hélène aux valeurs pourtant bien différentes, les couples bien assortis et les enfants joyeusement libres de faire leurs premières bêtises.
Fréderic s'accroche à la maison familiale, à la croyance que sa mère n'a jamais eu d'autre amour que son père et que sa fille restera une enfant qu'il pourra contrôler. Il doit se défaire de la maison comme des deux Corot (Paysage breton, une grille ombragée par les grands arbres et Chemin de Sèvres, vue sur Paris), peintre dont il partage les valeurs stables et qui laisse indifférent ses enfants, son frère et sa sœur. Il devra se contenter du dernier dessin de Paul Berthier représentant la maison. Cadeau que lui fait Helene avant de mourir sachant qu'il devra se contenter de cette possession symbolique. Il s'illusionne perpétuellement sur les changements qu'appelle le présent : il ne voit dans l'économie qu'un rideau de fumée.
Adrienne est moins sentimentale. Elle récupère le plateau en argent Christofle en forme de feuille de nénuphar mais elle abandonne volontiers le service à thé Haviland dessiné par Suzanne Lalique qu'elle admire mais dont elle n'a pas l'usage préférant les beaux objets bien plus modernes. Jeremy est surtout intéressé par le cash de la vente.
La note la plus grave et la plus cruelle concerne la séparation des classes. Frédéric croit Héloïse sur parole quand elle dit s'en aller pour la belle maison de ses enfants dans le sud. On la verra plus tard devant un triste immeuble HLM. Il se donne bonne conscience en ne lui révélant pas la valeur du vase oblong avec ses cinq boules vertes de Félix Bracquemond qu'elle emporte comme souvenir alors que c'est elle qui est partie pour ne pas gêner. Il ne répondra pas à sa carte de vœux.
L'art ou la vie
Pour régler les frais de succession de la maison, outre les Corot, nombre d'objets seront attribués au musée d'Orsay par dation. Le bureau Orchidées et fauteuil et la Grande vitrine demi-lune en acajou et bronzes dorés de Louis Majorelle ; Les vases Daum ; le vase en verre fumé de Félix Bracquemond ; la paire de vases billette de Charles Midoux ; les deux panneaux décoratifs d'Odilon Redon, l'armoire à trois vantaux de Josef Hoffmann
Fréderic s'en offusque : l’art doit naître de la vie et ces objets égarent leur fonction première, enfermés dans un musée. Pour lui, l'art est fait pour être vécu et pas regardé dans les musées. L’authenticité du sentiment de l’artiste perd de sa vie dans le musée. Frédéric évoque alors le souvenir traumatisant d'œuvres réunies dans une sorte d’appartement coffre-fort, en Suisse. Pourtant sa femme se montre moins négative, espérant que certains spectateurs sauront apprécier. Et puis Danseuse regardant la plante de son pied droit (vers 1900), la statue en plâtre de Degas, cassée autrefois par des enfants turbulents, retrouve vie grâce au musée.
Convoqué au commissariat de police, Fréderic voulait croire à la permanence des valeurs qui lient l'art et la vie : "je ne comprends pas" dit-il au policier qui l'interroge sur le vol commis par sa fille "nous sommes allés voir une exposition de peinture plutôt exigeante et ma fille a apprécié". Pourtant La dernière séquence fait écho à la première. Dans celle-ci, les enfants de Jérémie jouaient à la chasse au trésor dans une sorte de paradis naturel, cher à Frédéric. La séquence finale met en jeu des jeunes débarquant avec moto et cyclos bruyants, bouteilles d'alcool nombreuses et musique à fond. Il n'y a aura pas de drame, la fille de Frédéric ressentira seulement que le temps s'est écoulé. L'enfance est partie. C'est l'heure d'été, la sienne, qui s'annonce. Les Corot de papa sont bien loin.
Jean-Luc Lacuve le 25 avril 2020
A l’origine, il y a le souhait du Musée d’Orsay d’associer le cinéma aux célébrations de son vingtième anniversaire. Serge Lemoine, son président, charge le producteur François Margolin de développer un film à sketchs, lequel réunirait quatre courts métrages ayant un rapport avec le musée. Jim Jarmusch, Raoul Ruiz, Hou Hsiao-hsien et Olivier Assayas sont contactés. Seuls les deux derniers se montrent intéressés. Les deux hommes s’apprécient. En 1984, Olivier Assayas, encore critique aux Cahiers du cinéma, est le premier journaliste occidental à interviewer le cinéaste taïwanais, marquant la naissance d’une étroite complicité artistique et amicale. Mais après un début de collaboration autour du projet du musée d’Orsay, ils préfèrent chacun réaliser un long métrage. Le projet initial est ainsi abandonné. François Margolin concentre ses efforts sur le film de Hou Hsia-hsien, Le voyage du ballon rouge, avec Juliette Binoche ; Olivier Assayas, quant à lui, trouve en Marin Karmitz un autre producteur alors que Juliette Binoche insite pour jouer dans ce deuxième film. Navré d’avoir lancé un film dont il s’est ensuite retiré financièrement, Orsay ouvre ses portes au tournage et prête gracieusement des œuvres de sa collection.