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Asteroid city

2021

 Festival de Cannes 2023 Avec : Jason Schwartzman (Augie Steenbeck / l'acteur de théâtre Jones Hall), Scarlett Johansson (Midge Campbell/ l'actrice de théâtre Mercedes Ford), Tom Hanks (Stanley Zak), Jeffrey Wright (General Gibson), Bryan Cranston (Host), Edward Norton (Conrad Earp), Jake Ryan (Woodrow), Grace Edwards (Dinah), Maya Hawke (June), Rupert Friend (Montana), Hope Davis (Sandy Borden), Steve Park (Roger Cho), Liev Schreiber (J. J. Kellogg), Ethan Josh Lee (Ricky), Aristou Meehan (Clifford), Sophia Lillis (Shelly), Steve Carell (le gérant du Motel ), Tilda Swinton(Dr. Hickenlooper), Jeff Goldblum (L'Alien), Adrien Brody (Schubert Green), Hong Chau (Polly). 1h44

En ce milieu des années 50, l'animateur d'une émission de télévision en noir et blanc explique le dur labeur de l'écrivain Conrad Earp pour finir d'écrire sa pièce. Deux mois après, Conrad Earp fait la connaissance de Jones Hall, un acteur local qui a forcé sa porte sous prétexte de lui offrir sa glace préférée. Il lui casse un carreau pour laisser l'air entrer quand la fenêtre se grippe. Il lui donne l'idée du personnage d'Augie. La fascination est réciproque ; ils s'embrassent. Earp écrit rapidement le reste de la pièce avec l'aide d'une école de théâtre à laquelle il est associé : la pièce est lancée : elle s'appelle Asteroid City

Asteroid City (87 habitants), une ville minuscule, en plein désert, dans le sud-ouest des États-Unis. Le site est surtout célèbre pour son gigantesque cratère de météorite et son observatoire astronomique à proximité. À quelques kilomètres de là, par-delà les collines, on aperçoit des champignons atomiques provoqués par des essais nucléaires.

La voiture d'Augie Steenbeck est remorquée jusque chez le garagiste. Il est accompagné de Woodrow, son fils adolescent intellectuel et ses trois filles cadettes, Andromède, Pandora et Cassiopé. Le garagiste hésite entre deux pannes, l'une bénigne, l'autre envoyant la voiture à la casse mais c'est finalement une troisième panne qui est repérée. Lorsqu’Augie Steenbeck comprend que sa voiture va être immobilisée un moment, il téléphone à son riche beau-père, l'acariâtre Stanley, lui demandant de venir l'aider à garder ses trois filles. Stanley le convainc de raconter à ses enfants la mort récente de leur mère, qu'Augie leur avait cachée.

Asteroid city était bien la destination de Augie et de son fils car doit s'y tenir une convention d'astronomie récompensant les jeunes scientifiques les plus inventifs. C’est ainsi que débarquent bientôt après Woodrow quatre autres adolescents : Dinah, Shelly, Clifford, Ricky et leurs parents : la célèbre actrice Midge Campbell, Sandy Borden, J. J. Kellogg, confronté au désir de son fils de toujours vouloir lancer un défi et Roger Cho qui soutient toujours son fils comme lanceur d'alerte. Arrivent aussi en bus June, l'institutrice, à la tête d'un petit groupe d'élèves plus ou moins intéressés par l'astronomie et un groupe de chanteurs country avec à leur tête Montana, le cowboy... Le groupe rate le départ du bus et doit donc rester pour quelques jours. D'autres participants à la convention arrivent : le général cinq étoiles Grif Gibson et l'astronome Dr Hickenlooper. Tous sont hébergés par le gérant de motel local et surveillés par une équipe d'agents secrets.

Augie rencontre rapidement Midge Campbell, actrice fatiguée du monde, célèbre pour son travail dans des pièces télévisées, et sa fille Dinah, qui remarque immédiatement Woodrow. Augie, photographe de guerre, réussit toujours ses photos et Midge valide celle qu'il prend d'elle mangeant une gaufre.

Gibson accueille les participants à la convention, récompensant les adolescents pour leurs diverses inventions et promettant une bourse de recherche à l'un d'eux à la fin de la convention. Alors que le Dr Hickenlooper fait son discours sur l'observation des phénomènes astronomiques, un OVNI apparaît au-dessus du cratère Asteroid City ; un extraterrestre émerge et vole le fragment de la météorite qui a créé le cratère. Augie prend une photo de l'extraterrestre. Le président et le général Gibson ordonnent que la ville soit placée en quarantaine militaire, ses habitants étant soumis à un examen médical et psychiatrique pour mesurer les effets potentiels d'une exposition extraterrestre.

Montana aide June à expliquer les intentions pacifiques probables de l'extraterrestre à ses élèves, et une romance se forme entre eux. Pendant ce temps, les lauréats de la convention utilisent l'équipement du Dr Hickenlooper pour essayer d'envoyer un message à l'extraterrestre et incitent un soldat à rebrancher un téléphone public, leur permettant d'appeler un journal de l'école et de transmettre les détails de la quarantaine et de la dissimulation au monde extérieur.

Les événements d'Asteroid City deviennent des nouvelles nationales et le général Gibson, furieux, décide de mettre fin à la quarantaine. Cependant, juste à ce moment, l'OVNI visite à nouveau le cratère et l'extraterrestre rend le fragment de météorite. Lorsque Gibson rétablit la quarantaine, les enfants, les scientifiques et les parents se révoltent contre l'armée, utilisant les inventions des lauréats pour les maîtriser.

Augie et sa famille sont les derniers à quitter Asteroid City après que le général Gibson a levé la quarantaine. Woodrow reçoit l'argent de la bourse et Midge laisse à Augie son adresse postale. Ils s'éloignent tranquillement.

Alors que The french dispach évoquait les trois fiertés nationales dont s'enorgueillit la France : l'art, la révolution et la cuisine, Asteroid city revient sur les fondements de la culture américaine aux travers des grandes peurs des années 50.

La voiture d'Augie, portant le sigle "French press international", semble revenir épuisée du précédent film de Wes Anderson. Ce véhicule en panne, le film donc,  n'est ni victime d’un incident bénin ni destiné à vieillir comme une vieille carcasse mais se révèle bien vivant. D'abord effrayant, le moteur qui vibre comme un monstre sera finalement domestiqué et repartira vers l'avenir après avoir abandonné le petit théâtre d'Asteroid city.

Cette ampleur du propos est masquée sous de teintes pastelles et une rhétorique euphémisante. Wes Anderson compose ses plans comme des notes sur une partition musicale qui reviennent avec de légères variations, produisant une musique atonale avec de rares dissonances. Le montage des plans et des thèmes selon des droites et des cercles sont harmonies et contrepoint au service de la mise en scène.

Droites

Les droites ce sont les travellings latéraux sans objets narratifs, le train à destination d’Asteroid city lors du générique, les zooms avant ainsi que des compositions de cadres symétriques.

Les thèmes en sont les grandes peurs qui ne manquent pas de résonner avec la nôtre. Ainsi les inventions des adolescents : une arme redoutable qui fait disparaître l'ennemi, un accélérateur de croissance qui produit des fruits immangeables, un appareil qui transmet n'importe quel logo, drapeau ou message publicitaire sur les astres à commencer par la lune. Le confinement y est évoqué comme une façon qu'a l'armée de garder le peuple sous cloche et contre lequel s'élèvent les adolescents. La peur de l'étranger, le communisme russe, prend la forme de l'extraterrestre. Les armes atomiques y sont régulièrement évoquées, depuis le missile transporté sur le train jusqu’aux explosions nucléaires qui rythment le film

Cercles

La figure du cercle est majeure, c'est celle de la pièce jouée en scope mais entourée des coulisses en noir et blanc. Au début, les coulisses permettent d’en expliquer la genèse. La pièce est ensuite entrecoupée de l'histoire de sa création. Le metteur en scène Schubert Briggs est engagé pour mettre en scène la production avec l'aide du professeur de théâtre Saltzburg Keitel. La femme de Briggs le quitte pendant les répétitions et Mercedes Ford quitte presque la production après que Briggs l'ait réprimandée. Celle-ci est une actrice blonde, capricieuse mais brillante qui joue la brune Midge. Elle revient après que la doublure pour le rôle de Woodrow lui ait apporté une lettre de conciliation de Briggs. La doublure finit par assumer lui-même le rôle de Woodrow. Vers la fin de la tournée de la pièce, les acteurs sont attristés par la mort accidentelle de Conrad Earp.

La météorite inventoriée comme la lune sur laquelle Woodrow impose son logo, ou le trou circulaire dans lequel enterrer le Tupperware des cendres et le cratère géant de la météorite, voir le champignon nucléaire ou la ronde de la poursuite de voitures entre policiers et gangsters.
Augie doit faire face à la mort de sa femme dans une baignoire ronde et doit éviter que Midge en face autant. Son personnage rappelle Marilyn Monroe, non seulement par l'immense flacon de Channel n°5 mais du fait des cachets qui jonchent le sol, signes d'un potentiel suicide avec une tristesse manifestée par son maquillage d'un œil poché.

Et dissonances

Les dissonances apparaissent parfois. Ainsi le présentateur des années 50 se retrouve dans l'univers du Scope. Lors de la soirée d'ouverture de la pièce, Jones Hall sort du théâtre pendant la scène de la révolte et, en ouvrant une autre porte au fond du théatre, rencontre l'actrice qui devait jouer la femme d'Augie. Elle a rejoint une pièce différente après que sa seule scène ait été coupée. Elle lui récite le texte de la scène.

Mais ce sont surtout dans les cadres que la dissonance se manifeste. Le split-screen entre Augie et Midge comporte aussi un pan de nature qui figure la nuit ou le jour ; un personnage vient aussi souvent déséquilibrer la symétrie du plan.

L'effervescence du théâtre new yorkais des années 50, le cérémonial de l'enterrement des cendres, la solidarité des adolescents apportent un contrepoint chaleureux aux menaces qui pèsent sur les années 50. Sans faire de bruit, Wes Anderson  laisse personnages et spectateurs avec l'héritage de ces années.

Jean-Luc Lacuve, le 24 juin 2023.

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