Inspiré par des faits réels. Le 3 juin 1835, Pierre Rivière, un jeune paysan normand de vingt ans, égorge à coups de serpe sa mère, sa sur Victoire et son jeune frère Jules. Il prend la fuite et erre plusieurs semaines dans les bois avant de se faire arrêter. A peine emprisonné, le meurtrier, que la plupart des témoins décriront comme un garçon au comportement étrange, voire comme un idiot, entreprend la rédaction dun épais mémoire, texte dune stupéfiante beauté, véritable autobiographie dans laquelle il expose les raisons qui lon conduit à son geste : délivrer son père des « peines et afflictions » que lui faisait subir son épouse depuis le premier jour de leur mariage... Criminel monstrueux ou « pauvre » fou ? Le débat opposera longtemps magistrats et psychiatres.
Pour Allo-ciné : "René Allio s'est inspiré de l'ouvrage homonyme publié en 1973 par le philosophe Michel Foucault. Il s'agit d'un ouvrage collectif, rassemblant le témoignage de Pierre Rivière, rédigé par le jeune parricide en prison, et des contributions des membres du séminaire animé alors par Foucault au Collège de France. Ces recherches s'inscrivent dans le cadre de la réflexion menée par Michel Foucault dans les années 70 autour des thèmes de la répression et des normes sociales. Deux ans plus tard, il signera Surveiller et punir, un ouvrage de référence sur le système carcéral.
Dans un entretien réalisé par René Féret au moment
de la sortie du film, Michel Foucault expliquait pourquoi il considérait
le témoignage de Pierre Rivière comme un document "héroîque"
: "Pour deux raisons : parce que soudain, quelqu'un prenait la parole
alors que dans la plupart des autres documents ils ne parlaient jamais, on
parlait d'eux, ou quand ils parlaient c'est parce qu'ils étaient interrogés,
c'est parce que, pressés de questions, ils finissaient par avouer.
Là, quelqu'un, le plus fragile sans doute, le plus anonyme, un petit
paysan parle et parle de quelle manière : moi, Pierre Rivière...
Et, de plus, dans cette affirmation héroïque, se montrait toute
une parenté soulignée par Rivière lui-même, entre
son acte et l'histoire proche, ancienne et proche, à laquelle il se
rattachait. Ce lien entre la grande histoire et le moutonnement indéfini
de ce qui se passe nous a beaucoup frappés."
Dans une longue note d'intention rédigée en marge de l'écriture du scénario, René Allio expliquait sa démarche : "Moi, Pierre Rivière... devra répondre à la fois aux besoins d'un film de documents et d'une fiction dramatique. La structure du récit renverra nécessairement à cette dernière, même si c'est en demeurant fidèle à l'exactitude documentaire et chronologique que nous y parvenons. On sait, en effet, que depuis la tragédie oedipienne, l'enquête policière demeure un des modèles fondamentaux de la représentation dramatique et tragique, et qu'elle a été adoptée telle quelle par le cinéma, où même elle a constitué à soi seul un genre bien typifié (...) C'est de cette double écriture, refondue en une forme spécifique, que notre film, en dehors de son contenu, du répertoire exceptionnel de personnages qu'il convoque, des scènes étonnantes qu'il appelle, devrait tenir une partie non négligeable de son originalité et c'est, du point de vue du scénario que nous écrivons comme de la réalisation qu'il demandera, ce qui nous propose aujourd'hui le challenge le plus passionnant."
René Allio a écrit le scénario de son film en compagnie
de deux critiques des Cahiers du Cinéma, Serge Toubiana, le futur Directeur
de la Cinémathèque française, qui était alors
rédacteur en chef de la revue, et Pascal Bonitzer. Celui-ci deviendra
un des plus fameux scénaristes cinéma d'auteur français,
à travers ses collaborations avec Rivette, Téchiné ou
Raoul Ruiz, et passera lui-même derrière la caméra au
milieu des années 90 (Encore, Rien sur Robert...)
Au moment de la sortie du film, René Allio revenait sur l'apport décisif
qu'a représenté le travail avec des non-professionnels : "(...)
nous ne pouvions pas deviner à quel point [cette aventure] deviendrait,
mieux qu'un travail, une rencontre avec des hommes et des femmes dont la richesse
de sentiments, la délicatesse d'esprit, la générosité
de coeur, le rapport simple et direct aux choses du travail, à l'équipe,
nous seraient un enseignement. Jamais d'ailleurs, nous n'avons eu le sentiment
d'une différence ou d'un clivage dans le groupe que nous formions,
et qui aurait mis les " techniciens " du cinéma un peu à
part ; non, nous formions un tout entier où se répartissaient
les tâches, celles du jeu, pas vécues autrement que les autres.
À ces moments, on sait bien que faire un film n'est pas cette entreprise
de haute technologie que l'on voudrait parfois nous faire accroire, mais un
travail comme un autre, aussi manuel que le labourage, aussi artisanal que
la menuiserie, aussi raffiné que la dentelle (...) Je n'ai pas demandé
autre chose à nos interprètes paysans que ce que j'aurais demandé
à des "professionnels" : faire acte de création."