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Apparition de l'Enfant Jésus
à saint Antoine de Padoue

Francisco de Zurbaran
1640

Apparition de l’Enfant Jésus à saint Antoine de Padoue
Francisco de Zurbaran, 1635-1640
Huile sur toile,
Eglise d’Etreham

Actuellement en cours de restauration, cette Apparition de l’Enfant Jésus à saint Antoine de Padoue de Francisco de Zurbarán (1598-1664), découverte dans l’église d’Etreham (Calvados) en 2004, est intéressante par son thème, rare dans l’œuvre du maître, et par sa qualité plastique. Sa provenance, encore hypothétique, pourrait être un don du comte de Houdetot (1778-1859), artiste, personnalité politique et collectionneur qui posséda plusieurs peintures espagnoles.

L’église romane du village d’Etreham, dédiée à saint Romain et classée Monument historique dès 1840. L’édifice conserve une toile, naguère en fort piteux état , qui attira l’attention d'Hervé Pelvillain en 1999. L’œuvre était-elle espagnole, comme pouvait le laisser supposer un vieux cartel « Zurbarán » accroché au cadre qui contredisait une attribution traditionnelle au XVIIIe siècle français ?

Les peintures de Zurbarán demeurent rares en France, en dehors des ensembles des musées du Louvre et de Grenoble, seules trois églises conservent des œuvres sûres de sa main (Une Montée au calvaire à la cathédrale d’Orléans, une Promenade de l’Enfant Jésus et de saint Joseph à l’église Saint-Médard, à Paris, et une Immaculée Conception à l’église Saint-Gervais-Saint-Protais de Langon (Gironde).

Après le Greco, Zurbarán a multiplié les images de saint François d’Assise. En revanche, il ne semble pas avoir abordé fréquemment le thème de saint Antoine de Padoue (1195-1231) pourtant si populaire en Espagne. Aussi l’Apparition de l’Enfant Jésus à saint Antoine de Padoue retrouvée à Etreham apparaît-elle particulièrement intéressante. Francisco de Zurbarán a travaillé pour les diverses branches de la famille franciscaine dès son installation à Séville (cycle pour l’église Saint-Bonaventure, 1629) et jusque dans ses dernières années à Madrid (chapelle du couvent San Diego de Alcalá de Henares, 1659-1660). En Espagne où les frères mineurs exercent une influence considérable, il existe plusieurs communautés de réformés déchaux, comme les capucins ou les alcantarins dont le costume diffère sensiblement. Il semble que les commanditaires franciscains du Siècle d’or aient demandé aux peintres de représenter les saints de l’ordre revêtus de leur habit propre. Ce Saint Antoine de Padoue porte ainsi le costume des conventuels : robe de drap gris brunâtre plissée à la ceinture par une cordelière avec un capuchon arrondi, séparé de l’ensemble par une sorte de collerette - ou mozette - comme dans l’étonnant Saint François debout, momifié du musée de Lyon.

Lorsqu’en 1656, Murillo peint pour la cathédrale de Séville l’immense Vision de saint Antoine, il revêt le saint de Padoue du froc rapiécé et du capuce pointu des capucins. Les images de saint Antoine se multiplièrent aux XVIe et XVIIe siècles, extrêmement variées car les épisodes de sa légende s’étaient considérablement accrus au fil du temps. Toutefois, la représentation qui s’imposa le plus fréquemment fut celle de l’Apparition de l’Enfant Jésus à saint Antoine de Padoue telle que la représente Zurbarán dans notre tableau. L’écrivain jésuite Ribadéneira (1525-1611), auteur d’un Flos Sanctorum extrêmement populaire, a décrit très précisément cette vision : « Une fois entre autres le saint étant une nuit en sa chambre seul, l’hôte qui l’avait reçu en sa maison vit une grande clarté dans sa chambre, il aperçut un très bel enfant qui était sur son livre et qui avec une grande familiarité se mettait entre les bras de saint Antoine, lequel l’embrassait et se réjouissait avec lui sans pouvoir ôter les yeux de dessus lui » (RIBADENEIRA, R. P. La Fleur des Saints. Vailly-sur-Sauldre, 1983, t. 6, juin, p. 211)

Les suiveurs de Zurbarán, mais surtout Murillo, ont peint l’Enfant posé sur le livre ou encore dans les bras du saint de Padoue. Dans le tableau d’Etreham, mais aussi dans le Saint Antoine de Padoue du Museu de Arte de São Paulo, peint par Zurbarán avec participation de l’atelier vers 1630-1635, ou encore dans la version d’atelier plus tardive d’Ann Arbor (The University of Michigan Museum of Art), l’enfant Jésus apparaît dans les nuages au-dessus du saint. Zurbarán excelle dans les représentations des « saintes enfances ». Le petit garçon blond aux mèches bouclées , revêtu de la tunique sans couture qui grandissait avec lui, tissée par la Vierge comme le rapporte Pacheco, est très proche de l’Enfant Jésus bénissant (1635-1640) du musée Pouchkine à Moscou. Dans les deux cas, l’artiste revêt l’Enfant d’une robe un peu trop grande, ici d’une couleur rose tirant vers le mauve, caractéristique de son vêtement dans l’école sévillane. Le Christ, tout jeune garçonnet admirable de spontanéité et de vie, apparaît cependant monumental par le jeu subtil des couleurs appliquées en larges touches. En combinant audacieusement un choix de teintes limité - rose pâle de la tunique et or vif de la lumière céleste qui nimbe l’Enfant -, Zurbarán se montre remarquable coloriste. Les visages d’angelots qui cernent la figure enfantine sont peints avec le raffinement chromatique caractéristique du peintre d’Estrémadure.

La silhouette du saint extatique apparaît tout aussi réussie et le dialogue muet entre le visionnaire et l’apparition est rendue avec ce tendre lyrisme qui fait de Zurbarán un des meilleurs interprètes de l’expérience mystique au XVIIe siècle. Saint Antoine est représenté à genoux, les bras ouverts dans un geste d’offrande, proche de l’imagerie médiévale. Les mains, d’un dessin très sûr sont tournées vers l’extérieur, en signe « d’adhésion totale à l’autorité ». L’attitude du jeune moine ainsi que son apparence physique s’apparentent au beau Saint François en extase de l’ancienne collection Alvaro Gil, mais le poverello d’Assise est représenté le visage de profil, tandis que saint Antoine est montré de trois quarts, le regard levé vers le ciel, la bouche entr’ouverte surmontée d’une moustache brune . Le traitement des plis du froc couleur châtaigne est analogue dans les deux œuvres : grandes surfaces de facture ferme et lumières parfaitement réparties. Le jeu subtil de clair obscur - la scène reçoit sa clarté de la seule apparition divine laissant dans l’obscurité la table sur laquelle est posé un grand in-folio - permet de dater cette composition des années 1635-1640, période où Zurbarán se révèle comme le peintre préféré des commanditaires religieux sévillans. Outre les lys posés sur cette table, la restauration a fait apparaître au sol deux autres branches de cette fleur, symbole des âmes chastes, seules touches d’un blanc pur, traitées d’un pinceau fluide.

Si la date paraît à peu près assurée, la provenance de l’œuvre demeure très mystérieuse. Les mentions anciennes de Saint Antoine de Padoue dans le corpus de Zurbarán sont exceptionnelles et imprécises.