Tissot a traité par deux fois cet épisode : en 1862, il le place dans le contexte historique de la Renaissance. Vingt ans plus tard, il reprend le sujet dans le style moderne. Dernier acte de la série du « Fils prodigue », Le Veau gras illustre le moment où le pécheur, habillé en canotier du très chic club de Henley, retrouve sa famille, partageant le repas. Alors que son frère cadet arrive et s’émeut de voir son aîné faire si bonne chère, le père explique : « Une âme perdue est revenue parmi nous. »
Comme souvent chez Tissot, la lecture s’avère codée. On peut y lire un message moral, empreint des préceptes de la Bible. Mais l’œuvre se double ici d’une allusion plus personnelle.
Exilé à Londres depuis une dizaine d’années, l’artiste, loin de ses amis impressionnistes, se rappelle à leur bon souvenir. Le sujet des exilés est récurrent chez Tissot (Émigrants, 1879 ; Les Deux Amis, 1881, estampes, Musée d’arts de Nantes). La touche, claire et vibrante pour le fond du paysage, illustre l’intérêt du peintre pour les recherches tonales de Degas et Manet, ses amis. Dans les traits de la jeune femme assise on reconnaît Kathleen Newton. La capucine qui court le long de la pergola partage habilement les deux aspects de la scène et renvoie à la symbolique du renouveau. On peut aussi y lire une référence à un message intime de Tissot qui voudrait se rapprocher de ses collègues français : Degas avait notamment pris cette fleur pour emblème dans les années 1870. Tissot se sentait-il un enfant prodigue ?
Cyrille Sciama : Extrait du Guide des collections du Musée d'arts de Nantes