L'icône de la Trinité réalisée par Roublev marque l'apogée de la peinture ancienne de Moscou. Elle se situe dans une période historique de guerre contre les Mongols, qui ne prendra fin qu'en 1480 sous Ivan III.
En 1409, le monastère de la Trinité-Saint-Serge est brûlé par les Mongols. Il est tout de suite reconstruit par Nikon de Radonège, le nouvel higoumène, après la mort de Serge de Radonège. Une église provisoire en bois est élevée en 1409, là où est enterré saint Serge. L'icône de la Trinité a peut-être été peinte pour l'église du monastère. Puis, en 1422-1426 est érigée une nouvelle cathédrale de la Trinité en pierre couverte de fresques à l'intérieur par André Roublev et Daniil Tcherny. Mais ces fresques ont disparu. Une iconostase est également réalisée à la commande de Nikon par les deux peintres entre 1422 et 1427. Dans la composition de cette iconostase se trouve l'icône de la Trinité. Le sujet traditionnel de l'Ancien Testament qu'elle représente sous une forme artistique parfaite dépasse ce que le dogme a de conventionnel et d'abstrait
La trinité illustre un passage de la Genèse, quand l'Éternel vient annoncer à Abraham et Sarah qu'ils auront un fils, malgré leur âge avancé.: « L'Éternel apparut à Abraham au chêne de Mambré. Comme il était assis à l'entrée de sa tente pendant la chaleur du jour, il leva les yeux et aperçut trois hommes debout devant lui. Il les pria de s'arrêter et de se reposer sous l'arbre. Il leur fit servir trois gâteaux de fleurs de farine avec du beurre et du lait et le jeune veau qu'il avait apprêté. Et lui se tenait debout devant eux sous l'arbre et ils mangèrent. »
La tradition byzantine représentait la Trinité sous la forme symbolique de trois anges reçus à la table d'Abraham, appelée Philoxénie d'Abraham. Roublev fait abstraction de la figure d'Abraham et celle de son épouse Sarah, réduit le symbole aux trois anges pèlerins tenant un long sceptre (mêrilo) entre leurs doigts, assis en croix autour d'une table, sur laquelle est posée une coupe. Leur tête est auréolée d'une nimbe d'or. Leurs grandes ailes font songer à des oiseaux posés un instant avant de reprendre leur envol.
Les trois anges se ressemblent car ils symbolisent la Trinité, la triple incarnation du Dieu unique. La forme de leurs yeux en amande leur donne une expression mystérieuse. Le paysage participe à ce mystère : le tronc noueux du chêne, le rocher en surplomb qui s'incline au même rythme que les anges. Pour exprimer l'unité existant entre les trois anges, Roublev compose son icône dans un cercle dont la circonférence passe par le milieu de chacune des nimbes et dont le centre est la main gauche du personnage central.
En l'absence d'Abraham et de Sarah, l'icône ne figure plus une scène de la vie du patriarche mais bien ce qu'Abraham a vu. Abraham devient le spectateur de l'icône, alors que tout spectateur de l'icône devient Abraham.