Camille Pissarro, peintre impressionnistes de paysages ruraux, se lance avec énergie, à soixante-six ans, dans une énorme production de séries urbaines. Cherchant à rendre le tumulte de la ville, il peint depuis des fenêtres de chambres d’hôtels, au point de vue légèrement surélevé et offrant une variété d’angles. "J’ai trouvé une chambre au grand Hôtel du Louvre avec une vue superbe sur l’avenue de l’Opéra […] c’est le moderne en plein !!! » (décembre 1897, lettre à son fils Lucien).
Il réalise dix vues de cette avenue et de la place du Théâtre-Français jusqu’en avril 1898. Paul Durand-Ruel les expose en juin dans sa célèbre galerie. Cette œuvre, alors intitulée « Soleil, matinée d’hiver », est la seule de cette série restée en France. Une lumière se diffuse irrégulièrement sur la seconde moitié de la scène par touches vibrantes de couleur ocre et rosée, joue avec le gris-bleu des toits en zinc et des trottoirs, créant l’atmosphère contrastée de « […] ces rues de Paris qu’on a l’habitude de dire laides, mais qui sont si argentées, si lumineuses et si vivantes » (ibid.). La bande de soleil au sol coupe l’espace en une forte diagonale qui dynamise la composition : lumière sur les immeubles, plein éclairage à gauche, lumière et ombre à droite.
Très structuré, le paysage respecte la rectitude des rues haussmanniennes. La savante organisation des lignes diagonales et verticales conduit l’œil depuis la place du Théâtre-Français jusqu’à l’Opéra au fond. Le peintre mêle aux mouvements lumineux celui de la rue, l’agitation des voitures et des piétons ; leurs directions, le cadrage audacieux qui coupe l’avancée des voitures au premier plan à gauche renforcent cet effet de vie. Moment fugace du spectacle de la ville, Pissarro en traduit ici la sensation poétique et l’émotion, portant très loin l’art impressionniste, libéré de l’emprise du sujet.
Source : Musée des Beaux-Arts de Reims