Champs

Cette grande toile de Joan Mitchell est entrée dans les collections du musée l'année même de sa création, en 1990. L'artiste américaine née à Chicago en 1926, a été formée à l'école de l'action painting dont Jackson Pollock est le plus célèbre représentant, école pour laquelle prime la dimension expressive du geste déployé dans l'espace. La série des Champs révèle de quelle manière l'artiste, installée en France dès 1965, a su relier la peinture gestuelle à une exigence de libération subjective de la couleur, caractéristique d'une tradition plus européenne.

Champs dépeint les paysages agrestes de Vétheuil, en Normandie, où Mitchell résidait depuis la fin des années 1960. Il s'agit pour l'artiste de saisir le sentiment de la nature, d'en offrir une forme de mémoire, sensible et physique. Sur la toile, de larges couches de peinture aux tons vifs se superposent, s'entremêlent et se brisent jusqu'à dessiner un espace vertical, dense, vivant, traversé de lumière.  L'énergie qui l'habite est celle du geste travaillant la matière en de larges coups de brosse. Elle jaillit encore des accords de couleurs pures et intenses, ces noirs et ces bleus cobalt, ces jaunes brûlants de soleil, ces verts gazons, ces bruns chauds. Les intervalles blancs qui les cernent et les pénètrent ouvrent une forme de respiration, tant dans l'espace que dans le temps. L'artiste insistait sur la dimension intemporelle de la peinture, voyant en elle « la seule forme d'art, sauf la photo de pause, qui soit sans temps […], la seule chose qui soit continue et tranquille. »

À Vétheuil, Joan Mitchell s'installe au-dessus de la maison de Claude Monet. L'artiste américaine poursuit la voie ouverte par le peintre des Nymphéas, pratiquant ce que certains ont appelé un impressionnisme abstrait. Dans sa quête pour une justesse de la sensation colorée, elle insuffle à son œuvre une ampleur inédite, signe d'un engagement dans le monde et clé de cette présence vibrante, tangible et immatérielle tout à la fois.