L'annonciation
Ambrogio
Lorenzetti, 1344
Tempera sur bois, 127 x 120 cm
Pinacoteque Nationale, Sienne
Dans La perspective comme forme symbolique, Panofsky estime en 1925
qu'il s'agit de la première peinture représentant une perspective
entièrement monofocale centralisée, même si ce n'est que
pour le pavement.
Il semble aujourd'hui que ce soit son frère, Pietro qui dans La naissance de la Vierge conservée au museo del Opera del duomo à Sienne, ait fait pour la première fois un pavement centralisé et même avec un point de distance, c'est à dire un deuxième point pour construire sa perspective.
Pour construire une perspective, il faut un point de fuite qui donne une ligne d'horizon vers laquelle convergent toutes les lignes de fuite. Mais ensuite pour représenter correctement et géométriquement la diminution des carreaux vers la profondeur, un des principes de vérification consiste à tracer une oblique depuis le bas à gauche vers la ligne d'horizon déterminée par le point de fuite, donne une ligne de carreaux diminués. Ambrogio a eu l'idée de ces obliques mais n'avait pas compris le principe.
Les lignes du carrelage perpendiculaires au tableau ont quasiment un point de fuite unique, mais le dessin ne respecte pas encore toutes les règles de la perspective : les diagonales des carreaux ne sont pas alignées. |
Le tableau est un diptyque peint sur un seul panneau, c'est à dire deux arcs brisés : sous l'un il y a l'ange Gabriel, sous l'autre, la Vierge la colonne qui soutient ces deux arcs et sépare les deux figures est gravée dans le fond d'or présent sur la partie supérieure de l'image et peinte en or dans la partie inférieure qui représente le pavement en perspective. Or il se trouve que le point de fuite est derrière cette colonne qui le recouvre. Dans le fond d'or de la partie supérieure est inscrite en latin la formule de l'ange Gabriel s'adressant à Marie, la troisième salutation angélique à la Vierge : "Car rien ne sera impossible à Dieu qui est tout Verbe".
Cette inscription ne passe pas la colonne, elle s'interrompt avec la colonne qui est sur le même plan et fait partie du fond d'or tout comme l'inscription. En revanche quand on passe dans la partie où se trouvent le pavement en perspective et toutes les lignes de fuite , la colonne est devenue matérielle. Elle passe devant la robe de la Vierge dont on voit un petit morceau de tissus dans la partie de Gabriel.
Ambrogio Lorenzetti est le premier à se poser la question de figurer l'incarnation dans l'annonciation dans le cadre de la perspective géométrique. Il construit un espace où l'infini change de nature et s'incarne en corps opaque. Dans la partie haute, la colonne appartient au fond d'or, à la lumière divine. Dès lors qu'elle passe dans la partie basse, ce lieu mesurable par la perspective où sont l'Ange et la Vierge, elle devient opaque : elle est la figure de l'incarnation.
La colonne est en effet un des symboles les plus connus et traditionnels
du Christ : Columna est Christus, "le Christ est une colonne".
La colonne, c'est donc l'éternel en tant qu'il est déjà
là. Pierro della Francesca reprendra ce motif pour son annonciation
du polyptique de saint Antoine.
Source : Daniel Arasse, Histoires
de peintures, chap. 5 : Perspective et annonciation. Denoël, 2004.