Les bâtiments en brique à l'arrière plan rappellent Tôt le dimanche matin (1930) alors que la juxtaposition d'un intérieur commercial bien éclairé avec une rue pavée et sombre rappelle Drug Store (1927). C'est néanmoins le seul tableau de Hopper à montrer une vitre courbe et transparente.
Le motif est inspiré d'un bar-restaurant se tenant à l'un des croisements de Greenwich Avenue, que Hopper fréquentait souvent. La structure possède une forte dynamique. Les fenêtres panoramiques permettent de distinguer dans sa continuité la rue à l'arrière plan, le bar puis la rue qui fait l'angle alors que l'ensemble n'est eclairé que par les néons (qui appparaissent alors aux Etas-Unis) du bar. Si la chaleur semble ainsi émaner de l'intérieur du bar, une tension contradictoire provient du mystère des personnages qui s'y tiennent ; leurs expressions et postures figées peuvent laisser présager le déroulement d'un drame.
Cinéphile, lartiste sest nourri des films de lâge dor hollywoodien des années 1930 et 1940. "Quand je narrivais pas à peindre, disait-il, jallais au cinéma pendant une semaine ou plus." Bien quil nait jamais revendiqué une influence particulière, Hopper nen a pas moins utilisé les techniques de la mise en scène et du cadrage pour concevoir ses toiles : le jeu des ombres et des contrastes, la construction dune image fortement géométrisée en sont les paramètres les plus évidents. Mais ce qui caractérise aussi ce tableau, cest la narration. Hopper affirmait sêtre inspiré dune nouvelle de Hemingway, Les tueurs, dans laquelle deux tueurs à gages assassinent un ancien boxeur. Lorsque Robert Siodmak adaptera Les tueurs à lécran en 1946, il sinspirera à son tour de ce tableau pour la séquence d'ouverture.
Interrogé sur le sens que lon pouvait donner à ses uvres, Hopper, lors dune interview donnée à une radio américaine en 1961, refusait dy voir lexpression dune "quelconque mentalité américaine", ajoutant encore que cétait au spectateur den tirer sa propre interprétation.
Jean-Luc Lacuve, le 15 janvier 2012