On peut s'étonner que la trahison de Judas n'occupe pas le centre de l'image. En effet la zone centrale est occupée par l'armure du soldat au premier plan, lequel, malgré l'étreinte de Judas, tend le bras pour saisir le Christ à la gorge. Au-dessus de ce personnage, presque caché derrière son casque, on devine une lanterne brandie à bout de bras par l'homme de droite, alors qu'à gauche un jeune homme prend la fuite. Son manteau flottant dans son sillage forme un arc au-dessus des têtes du Christ et du traître qu'il semble entourer et isoler.
Le mouvement suggéré par l'étreinte, indiquant que le baiser n'a pas encore été donné, montre que le Caravage s'est sans doute inspiré de Luc dont le récit n'inclut même pas le baiser lui-même "et le nommé Judas, un des douze, les précédait [les soldats] et il s'approcha de Jésus pour Lui donner un baiser. Jésus lui dit : " Judas, c'est par un baiser que tu livres le Fils de l'homme ? " (Luc 22, 47-48). Le Caravage semble en effet concentrer l'action sur la question amère posée par le Christ.
Mais Le Caravage emprunte aussi aux autres évangélistes : Jean est le seul à évoquer des lanternes et des torches (18,3) alors que le personnage de gauche n'est évoqué que par Marc (14,51-52). Il s'agit donc d'une compilation de plusieurs sources. Le Caravage était alors sous la protection du frère du marquis Ciriacio Mattei pour qui il a peint le tableau (ainsi que La cène a Emmaüs un an plus tôt), le pieu cardinal franciscain Girolamo Mattei qui lui aura très certainement prodigué de nombreux conseils sur l'aspect théologique du tableau.
Le Caravage utilise la sombre mais rutilante armure et le pantalon rouge vif du soldat du centre comme des instruments signifiant la violence physique dont Jésus, résigné et affligé, va être la victime.
La lanterne se trouvant derrière le casque peut difficilement être à l'origine des reflets sur le métal couleur noir d'encre. Peut être est-ce le clair de lune cette lumière extérieure au tableau.
L'accent principal de la lumière est placé sur les doigts noués du Christ qui se détachent nettement dans l'espace inférieur de la composition. Les contours très nets et durs de l'armure contrastent avec la souplesse et la douceur des plis des vêtements du Christ passif, tout comme la brutalité des traits du visage de Judas contrastent avec la pâleur de Jésus dont les yeux et la bouche se fondent dans l'ombre. La violente énergie animant le groupe des personnages accentue d'autant plus l'isolement de Jésus au moment de l'étreinte.
Bien longtemps avant que le tableau ait été redécouvert à Dublin, alors qu'il n'était connu que par quelques copies, on avait fait remarquer que l'homme qui se tenait à droite et portait la lanterne était un autoportrait de l'artiste. La tête ressemble en effet a ce que nous connaissons de sa physionomie et il n'était pas rare qu'à l'époque un peintre se représente lui-même dans un tableau religieux. Le Caravage éclairerait donc ici littéralement l'action de sa propre lumière.
Source : Catalogue de l'exposition Rembrandt/ Le Caravage