La naissance de Vénus, scène profane, a été peinte vers 1484-85 par Botticelli, dont les oeuvres à sujet religieux (douces madones, enfants Jésus, images des saints) constituaient alors la quasi totalité de la production artistique. Selon les estimations, les thèmes profanes n'en représentaient pour leur part que 13 % ; la plupart du temps il s'agissait de portraits.
C'est à l'apogée de sa gloire que le peintre des madones osa entreprendre une séries de mythologies grand format. Le premier nu masculin de la Renaissance, un jeune David en Bronze avait été modelé d'après nature en 1430 par le sculpteur florentin Donatello. Que cinquante années se soient écoulés entre cette oeuvre et La Naissance de Vénus montre que les tabous instaurés par un christianisme hostile au corps pesait davantage sur la représentation du sexe féminin. Pendant longtemps, seules des Eve pécheresses à la pomme et au serpent osaient se présenter dévêtues dans les oeuvres d'art, pour être bientôt punies et chassée du paradis, courbées de honte.
Technique et localisation
La naissance de Vénus est exposée aux Offices à côté du Printemps dans lequel se retrouvent des personnages identiques : Vénus, vêtue cette fois-ci, entourée d'une des Heures, de Zéphyr et de Flore mais aussi de Cupidon de Mercure et des trois Grâces presque nues. L'oeuvre n'est toutefois pas peinte sur un panneau en bois, comme Le printemps. Botticelli n'a pas choisi le support habituel en bois de peuplier mais utilisé, pour la première fois, en Toscane une toile grand format. Si Botticelli se servait de la technique de détrempe couramment employé à son époque (Cennini conseille de prendre plutôt des oeufs de poules élevées en ville, les oeufs de la campagne ayant une couleur trop prononcée), il dissolvait cependant les pigments dans un minimum de corps gras, méthode qui donna les meilleurs résultats : la toile est aujourd'hui restée ferme et élastique, la peinture est à peine craquelée. Lorsque les restaurateurs, au printemps 1987, ôtèrent la couche de vernis à huile appliquée plus tard, ils découvrirent une couche tout à fait inhabituelle blanc d'oeuf. Alliée à la détrempe maigre, elle conférait au tableau un aspect proche de la fresque, tel qu'il convenait à une maison de campagne.
En 1550, les deux oeuvres se trouvaient au Castello, une villa dans les environs de Florence, appartenant au Duc Cosme 1er de Médicis. C'est à cette époque que son architecte, Giorgio Vasari, peintre et auteur de biographies d'artistes, les évoque pour la première fois. Il décrit l'une des oeuvres de la façon suivante : "La naissance de Vénus et les airs et les vents qui la poussent vers la terre accompagnée d'amours" et l'autre ainsi "Vénus parée de fleurs par les Grâces annonçant le printemps".
Les historiens d'art ont longtemps cru que Botticelli avait peint les deux tableaux pour le propriétaire de la villa. Celui-ci s'appelait, en 1486, Laurent de Pierfrancesco de Médicis, surnommé aussi "le Cadet" pour le distinguer de son cousin, Laurent le Magnifique, qui régnait en vrai souverain sur la république de Florence. Pourtant, un inventaire découvert récemment révèle que si le tableau "Le printemps" se trouvait bien en possession de Laurent le Cadet en 1498, "La naissance de Vénus" ne l'était pas. On ignore donc pour qui il a été peint. On a bien sûr tenté d'établir un lien entre ce tableau et les plus célèbres des Médicis, Laurent le Magnifique et son frère Giuliano. On a vu dans "La naissance de Vénus" un hommage à Simonetta Vespucci, l'épouse d'un marchand florentin. Proclamée "Reine de beauté", elle fut le personnage principal d'un tournoi organisé en en 1475 par Giuliano. Les exégètes en conclurent à un liaison amoureuse entre Giuliano et Simonetta en s'appuyant sur le seule fait que celle-ci était née à Porto Venere (Port de Vénus).
Iconographie, iconologie
L'action du tableau est devenue difficile à comprendre. Elle ne raconte en effet pas la naissance de Vénus dans l'écume de la mer comme l'indique à tort le titre que l'on lui donna au XIXe siècle. C'est bien davantage son arrivée, après sa naissance, sur l'ile de Cythère.
La déesse est représentée sous les traits de la Vénus pudica qui couvre sa nudité de la main et de sa longue chevelure blonde. Vénus se dresse dans un grand coquillage, conduite vers le rivage par le souffle de Zéphyr, le vent fécondateur, enlacé par la nymphe Chloris, symbole de l'amour physique, au milieu d'une pluie de roses. Lorsqu'elle va poser le pied à terre, une nymphe, l'une des Heures probablement, chaste servante de Venus, richement vêtue et parée de guirlandes de roses et de myrte l'accueille avec un vêtement pourpre constellé de fleurs.
Il est ainsi fort probable que commanditaire de la toile de Botticelli, membre ou ami de la riche et puissante famille des Médicis, ait expliqué au peintre l'état des connaissance sur la façon qu'avaient les anciens de représenter Vénus sortant des flots.
Botticelli connaissait sans nul doute la collection
de gemmes antiques des Médicis, ornées de néréides
et de divinité marines et la
Venus de marbre du premier siècle avant JC. De la statuaire
grecque classique, l'artiste de la Renaissance a repris l'appui sur
une seule jambe, le séduisant déhanchement de la déesse
et son geste de pudeur. Elle correspond au "canon" que des
artistes comme Polyclète et Praxitèle avaient élaboré
dans leur recherche d'harmonie et d'un idéal esthétique.
Ce canon veut, par exemple, que l'écart entre les deux mamelons
soit égal à celui qui sépare les mamelons du nombril
et le nombril de l'entre-jambes. D'innombrables nus furent exécutés
selon cette règle, depuis les statues de la Grèce antique
jusqu'aux figures des sarcophages romains tardifs. Puis, elle tomba
dans le discrédit et l'oubli. Redécouverte seulement à
la Renaissance, elle continue d'influencer notre goût.
C'est aussi à cette époque que parurent les premières éditions imprimées des textes traduits par les humanistes florentins, par exemple les Hymnes homérique en 1488. "C'est Aphrodite, la belle, la vertueuse, que je veux chanter/... Le souffle du vent d'ouest l'a portée/ De l'écume jaillissante et par dessus la mer profonde/ Jusqu'à Chypre, son île, aux rivages frangés de vagues/ Et les Heures couronnées d'or,/ L'ont accueillie avec joie". Homère mentionne ainsi le dieu du vent joufflu en relation avec Vénus. Il se nommait Zéphyr, soufflait de l'ouest et apportait le printemps dans le pays. Au sujet de sa compagne Chloris, qui enlace de se membres d'albâtre le corps brun de Zéphyr, le poète romain Ovide rapporte qu'après l'avoir violée, le Vent la pris pour épouse et fit d'elle la déesse des fleurs, appelée Flore.
Une pluie de rose accompagne la déesse de l'amour. C'est ainsi que le poète grec Anacréon (environ 580 à 495 av. J. C.) nous conte qu'un buisson de roses aurait jailli de terre lorsqu'elle posa pour la première fois le pied sur le rivage. Des roses rouge pâle enlacent la taille de la jeune fille qui attend Vénus sur la grève. Il pourrait s'agir d'une des trois Grâces qui, dans l'Antiquité, faisaient partie de la suite de la déesse, ou encore d'une des trois Heures, personnification des saisons. Les anémones à ses pieds et sa robe parsemée de bleuets annoncent l'Heure du printemps- la saison durant laquelle Vénus faisait revenir la beauté et l'amour après les rigueurs de l'hiver..
Au moyen-âge, on attribua les symboles traditionnels de la Vénus antique, les roses par exemple, au personnage qui, désormais, dominait tout et en était le pôle opposé, la Vierge Marie. Il en va de même avec le coquillage. En relation avec la déesse païenne, il signifie, à l'instar de l'eau, la fécondité et -en raison de sa ressemblance avec le sexe féminin- le plaisir des sens et la sexualité. Mais lorsqu'il forme une voûte au dessus de la madone du retable de saint Barnabé, il symbolise la virginité. On croyait, au moyen-âge, que les coquillages étaient fécondés par la rosée. Botticelli n'éprouvait visiblement aucun scrupule à employer le même motif pour deux thèmes opposés
Dans sa Théogonie, écrite au VIIe siècle avant Jésus-Christ, Hésiode parle lui aussi d'Aphrodite Anadyomène, c'est à dire sortie des eaux : lors du combat des dieux, Chronos renversa et émascula son père, Ouranos, le ciel. Lorsque la semence de ce dernier se répandit dans les flots, la déesse de l'amour naquit de l'écume de la mer, fécondée par le ciel. Cette naissance avait le caractère d'un mystère et se rattachait à des symboles que l'on retrouve dans le tableau de Botticelli.
C'est ainsi que le manteau de pourpre présenté à la déesse sur le rivage n'a pas seulement une fonction esthétique, mais aussi une signification rituelle. Figurant déjà que les vases grec de l'Antiquité, il marque la frontière entre deux domaines : le nouveau né comme le mort était toujours enveloppé dans un linge.
La naissance de Vénus répond au concept néoplatonicien de l'amour entendu comme énergie vivifiante, force motrice de la nature. Il est le symbole de la transmission de la beauté de l'ordre divin au monde des mortels. La Vénus de Botticelli est si belle que nous ne remarquons pas la longueur artificielle de son cou, la chute excessive de ses épaules et l'étrange façon dont son bras gauche est relié au corps. Ou plutôt, nous devrions dire que les libertés que Botticelli a prises avec la nature pour réaliser son oeuvre ajoutent à la beauté en communiquant l'idée que la féminité et la délicatesse ont été apporté sur nos rivages par un cadeau du ciel.
Tableau miraculé
C'est sans doute parce que cette toile se trouvait dans une villa des environs de Florence que Vénus fut sauvée car, bientôt, tout les efforts des humanistes pour réhabiliter la déesse Vénus furent réduits à Néant. Après avoir chassé les Médicis de Florence, le moine Jérôme Savonarole instaura en effet, entre 1494 et 1498, une théocratie très sévère. Dans la nuit du Mardi gras 1497, il fit brûler sur un "bûcher des vanités", à côté des fards, des bijoux et des cheveux postiches, toutes les "images lascives". Il parait que Botticelli était aussi partisan du moine fanatique. Quoi qu'il en soit, il y avait bien longtemps qu'il ne peignait plus de mythologies païennes ni de femmes nues.