Cycle de projections débats avec Jean-Michel Frodon
Université de Caen et Café des Images


A l’occasion de la parution de son ouvrage Le cinéma français, de la Nouvelle Vague à nos jours, Jean-Michel Frodon en collaboration avec le département Arts du Spectacle de l’Université de Caen Basse-Normandie propose une première soirée "associant un cinéaste qui a commencé avec les débuts de la Nouvelle Vague et un représentant de la plus jeune génération ; il s’agit de montrer comment l’innovation moderne qui surgit au tournant des années 1950-1960 a irrigué par d’innombrables voies la création au cours des décennies suivantes, les représentants de la génération d’hier poursuivant un chemin innovant tandis que les plus jeunes relayaient à leur façon l’énergie alors libérée." (Jean-Michel Frodon).


Premier rendez-vous, le mardi 15 mars 2011

La France se caractérise par une relation complexe au cinéma. Il n'est pas segmenté en publics. C'est un cinéma comme un tout qui accueille la complexité. C'est un écosystème où les espèces cohabitent dans des combats inégalitaires, où certains sont détruits mais remplacés par d'autres. C'est un monde vivant tant que restent actives les forces qui rassemblent tout cela et permettent la continuité, des exploitants de salle aux critiques et universitaires.

Au sein des réalisateurs se forment de petits groupes : contre la dénonciation des sans papiers, pour les films du milieu. Laurent Cantet et Dominique Moll travaillent d'abord ensemble puis réalisent dans la même maison de production, Haut et court. Pascal Caucheteux avec Why not productions rassemble des personnalités aussi diverses que Xavier Beauvois, Bruno Podalydes, Jacques Audiard, Arnaud Desplechin. Producteur très discret, il ne veut pas les agréger sous une étiquette commune des réalisateurs tous très différents.

La France est le pays ou l'on réalise proportionnellement le plus de premiers films. Il existe alors un danger de donner des étiquettes lorsque l'on cherche à décrire ce paysage. Les réalisateurs refusent bien entendu d'être réduits à une étiquette, surtout quand, c'est quelqu'un d'autre qui la leur a collée.

Les succès sont non prédictibles et non reproductibles. Nul ne pouvait prévoir les succès de Kechiche avec L'esquive et La graine et le mulet ou celui de Beauvois avec Des hommes et des dieux.

Les années 80

Après le cinéma politique des années 70, celui des années 80 est marqué par la désillusion politique et le surinvestissent dans l'esthétique. C'est le triomphe du Grand bleu, l'esthétique publicitaire de Chatiliez, celle baroque de Beinex, Carax, ou d'Assayas dans Désordre et L'enfant de l'hiver qui accompagne des parcours dépressifs.

Godard revient dans le circuit commercial avec le désespéré Sauve qui peut (la vie). Marker entérine les impasses de l'idéologie avec Le fond de l'air est rouge. La chambre verte est un film funéraire mais Truffaut commence aussi L'homme qui aimait les femmes par un enterrement, Le dernier métro voit son personnage central se terrer sous terre. De même dans Vivement dimanche (1984, son dernier film), il n'ose pas sortir.

Chabrol et Rohmer ont plus de recul par rapport à l'époque. Ils en rendent compte par le comment on s'habille, se parle et l'architecture. Desplechin s'interroge sur qu'est-ce qui fait collectif, rapport entre microsome et macrocosme et développe thèmes politiques et bergmaniens.

Les années 90

Petit âge d'or autour de 1995. Dans les années 80, un ensemble de processus s'est mis en place qui va permettre l'éclosion d'une nouvelle génération. Olivier Assayas, Claire Denis, Patricia Mazuy et Pascale Ferran trouvent un public et la reconnaissance critique.

Jack Lang a renforcé les dispositifs d'accompagnement de soutien à la création notamment le système de péréquation entre petits et gros films. Canal + et Arte valorisent le cinéma et participent à son financement. Ces impulsions du public et du privé sont glorifiées par la personnalité flamboyante et l'entregent de Daniel Toscan du Plantier. La création de la FEMIS, l'intervention des régions, le groupement des cinémas de Recherche, l'ACID participent à cette effervescence.

Les cinéastes se mobilisent contre la réforme de la sécurité sociale de Juppé en 1995 mais surtout contre la politique de dénonciation des sans papiers, voulue par Pasqua et Debré en 1997. Grâce à la mobilisation d'Arnaud Desplechin, Pascale Ferran et de Nicolas Philibert, Claire Denis, Tony Marshall et Romain Goupil qui rassemblent autour d'eux de nombreux intellectuels, l'article de loi honteux est abrogé. Des films sur les banlieues s'initient.

Les années 2000

Avec les cinéastes issus de l'immigration, Abdellatif Kechiche, Rabah Ameur-Zaïmeche, Alain Gomis se dessine un regard avec un recul sur la société contemporaine qui retrouve l'héritage de Renoir ou Pialat.

Il y a certes une solidarité de groupe face à un monde hostile mais surtout une attention à ce qui surgit lors de la prise : sensibilité au moment de dépression, de ce qui vibre, volonté de capter les relations entre les gens. La construction dramatique se fait en grands blocs de séquences.

Avec Toscan, Pialat (soutenu d'abord par Rassam) rattrape la modernité de la nouvelle vague. Il influence les génération 90 (Kahn, Mazuy ou Beauvois) et 2000 davantage que Chabrol, Rivette ou Godard.

Danger des "les fils de" qui tendent à reproduire le système. Le "d'où on vient", la filiation, remplace les grands thèmes idéologiques.

 

Rencontre à l’issue des projections avec Jean-Michel Frodon et David Vasse, enseignant de cinéma à l’Université de Caen Basse-Normandie.