Table ronde avec Jean-Pierre Rehm, directeur artistique du festival international du film documentaire de Marseille, collaborateur aux Cahiers du cinéma et Cyril Neyrat, rédacteur en chef de la revue Vertigo, collaborateur aux Cahiers du cinéma.
Le cinéma de Debord procède à trois niveaux de critique vis à vis de la société contemporaine. Le premier est celui du constat d'une économie généralisée : la société du spectacle n'est pas un secteur particulier de la société, c'est le monde transformé. Le second niveau de critique vise la culture, émanation en terme de superstructure de l'économie et le troisième niveau s'attaque à l'art. Debord reprend à Hegel l'idée que l'art est mort, du moins l'art comme reflet des choses. Hegel substitue à cet art ancien un art comme promesse du lendemain par sa capacité à rendre le monde intelligible.
Dans In girum, la première
partie relève clairement de l'analyse de la société du
spectacle, la part de la critique de la culture est assez mince. La part la
plus importante de sa critique vise l'art qu'il veut transformer en réalité.
Son moyen d'action privilégié est le détournement. Il reprend cette technique à Lautréamont qui, après Les chants de Maldoror, en fait un usage systématique dans Poésie 1 et Poésie 2. Lautréamont reprend par exemple l'aphorisme de Pascal et le transforme en "L'Homme est un chêne pensant'. Il y a un geste potache, l'espace de l'art est devenu scolaire, bien différent de celui de Montaigne qui fait usage des citations comme une main tendue vers l'humain.
Cyril Neyrat montre aussi que l'importance des ruines dans les films de Debord
se rattache au détournement : il faut retourner, détourner les
pierres pour faire advenir une nouvelle morale. "Le plagiat est nécessaire,
le progrès l'implique ". disait Debord, "Il éfface
l'idée fausse, la remplace par l'idée juste".
Le détournement est le contraire de la citation. Celle-là prend
son autorité de la totalité de l'uvre, celui-là,
arraché à l'oeuvre tire son énergie de lui-même.
La bande dessinée Prince Vaillant est le contraire de la citation à la Roy Liechtenstein et relève plus d'une fidélité à l'enfance tout comme Zorro et Robin des bois. C'est presque la figuration d'un Debord éternel tel qu'il s'est vécu et qui souhaite à l fin de In girum "Reprendre tout au début". A la manière des poètes romantiques, il se construit un tombeau et lorgne du coté d'André Breton qui interrompit l'expérience dadaïste pour le grand drapé de la littérature.
A la question de savoir si la pensée de Debord peut servir aujourd'hui à l'action politique et si elle n'est pas un produit dérivé de la pensée plus énergique d'Adorno, Jean-Pierre Rehm répond qu'il convient d'abord de faire l'experience du film. Le plus grand reproche que l'on puisse adresser à la politique est de nous priver de l'expérience et de nous imposer des idées abstraites.
C'est Debord cinéaste qui l'intéresse avant le cinéaste politique. Il est prêt à admettre que Debord est peut-être moins intéressant que Adorno et qu'il existe du cinéma expérimental plus enthousiasmant que celui de Debord. Mais la question n'est pas là : avant de juger et classer Debord, il est plus intéressant de voir comment on peut sen servir.