Editeur : Carlotta-Films. Septembre 2011. Nouveau master restauré haute définition. DVD 20 €.

Supplément :

  • À La croisée des chemins (23 mn) Jean-Pierre Dionnet dialogue avec le cinéaste Frédéric Schoendoerffer à propos de la singularité de Prime Cut, film charnière entre le cinéma classique et le Nouvel Hollywood

Dans un abattoir du Kansas, le corps d’un homme défile parmi les carcasses. Au bout de la chaîne, un employé de l’usine envoie des saucisses "maison" à Chicago. Excédé, le destinataire décide d’employer la manière forte et contacte Nick Devlin pour collecter la somme que lui doit Mary Ann, le propriétaire de l’abattoir.

Dans le chapitre "Fin de frontière, excès d'énergie" de son Cinéma américain des années 70, Jean-Baptiste Thoret replace Carnage dans son contexte. "L'énergie, moteur essentiel de la conquête de l'ouest, se met à tourner à vide. Comment répéter le mythe de la frontière alors que la frontière n'est plus. Deux réponses possibles : soit effectuer le chemin inverse de la conquête de l'ouest, c'est le road movie, soit brûler cette énergie sur place dans la folie meurtrière, ce sont les films d'horreur réalistes.

La violence ne constitue plus un facteur régénérant de la civilisation mais le moyen par lequel elle s'autodétruit et précipite le monde à sa fin. La capacité de l'individu à s'adapter aux métamorphoses du monde moderne fait place à une société prise dans les rets d'une causalité, d'un sens qui la dépasse, en pleine dégénérescence et dont les rednecks qui pullulent dans les films du nouvel Hollywood constituent les archétypes. Parce que la frontière a bel et bien disparue, le monde auquel se mesuraient naguère les pionniers n'est plus qu'un repère de dégénérés dont l'esprit de conquête a fait place à une oisiveté meurtrière."

On ne se saurait mieux présenter Carnage (Prime cut en VO), cet avatar du polar classique où un tueur à gage est censé récupérer de l'argent et, s'il n'y arrive pas, doit tuer le mauvais payeur. L'énergie tourne pourtant effectivement à vide : Nick Devlin est revenu de tout et le couple de frères, Mary Ann et Weenie, semble tant et tant avoir abusé de la viande sous toutes ses formes qu'ils seront, pour l'un, tué pour avoir confondu un couteau avec une saucisse (!!!) et l'autre laissé être dévoré par un cochon mangeur d'homme.

L'étrange dégénérescence de ce coin du Missouri est perceptible dès la scène d'ouverture digne de Tintin en Amérique. Le spectateur n'est pas bien sûr de comprendre ce que signifie la silhouette humaine entraperçue, ce sur quoi frappe Winnie à coups de marteau. Il est sommé de comprendre, avant qu'on le lui dise à Chicago, ce que vient faire une chaussure sur le tapis de conditionnement et de quoi est constitué la chair des saucisses. On est encore loin de Hooper et son Massacre à la tronçonneuse mais plus proche de Romero : le corps humains traité comme de la viande ou du bétail.

À La croisée des chemins (23 mn)

Jean-Pierre Dionnet, cinéphile professionnel, dialogue avec le cinéaste Frédéric Schoendoerffer à propos de la singularité de Prime Cut, film charnière entre le cinéma classique et le Nouvel Hollywood

Gene Hackman, Lee Marvin et Sissy Spacek sont au sommet de leur gloire cumulant films d'auteurs et succès publics. Le scénario est basé sur un poncif : un tueur à gage qui doit récupérer de l'argent et s'il n'y arrive pas doit tuer le mauvais payeur. L'étrangeté est pourtant omniprésente. L'ouverture est sidérante ; la relation entre les deux frères ambigüe, l'un rasé et culturiste, l'autre chevelu et plus intello. Winnie poignarde avec une saucisse et Mary Ann est laissé à se faire dévorer par un cochon mangeur d'homme. L'esclavage féminin est angoissant dans cette foire en centre-ville au milieu d'enfants et d'habitants dégénérés. L'innocence de Sissy Spacek est traitée avec respect par Lee Marvin qui lui fait pourtant porter une robe verte transparente terriblement érotique et indécente dans un monde mais non jugé.

Le film anonce les séries B de Romero et le Massacre à la tronçonneuse de Hooper. Le lyrisme du scope et de la nature, évoque aussi parfois La ballade sauvage de Malick.

 

 
présente
 
Prime cut de Michael Ritchie