Editeur : Carlotta-Films, avril 2018. 3 BD. Format 1.37. Durée totale des 5 épisodes : 7h45. 35,10 €
BLU-RAY 1 : ÉPISODE 1 : JOCHEN ET MARION (102 mn) ; ÉPISODE 2 : GRAND-MÈRE ET GREGOR (100 mn)
BLU-RAY 2 ÉPISODE 3 : FRANZ ET ERNST (93 mn) : ÉPISODE 4 : HARALD ET MONIKA (90 mn)
BLU-RAY 3 ÉPISODE 5 : IRMGARD ET ROLF (90 mn) SUPPLÉMENT : HUIT HEURES NE FONT PAS UN JOUR : UNE SÉRIE QUI FIT PARLER DANS LES CHAUMIÈRES (40 mn)
INCLUS UN LIVRET EXCLUSIF DE 36 PAGES
C’est soir de fête chez les Krüger-Epp, famille typique de la classe ouvrière de Cologne. Tous les membres du clan sont réunis pour fêter les soixante ans de la grand-mère, une veuve un peu fantasque qui vit chez sa fille, son gendre et son petit-fils Jochen. Alors que ce dernier est parti ravitailler la troupe en champagne, il croise sur son chemin la jolie Marion et l’invite à se joindre à eux. Ce sera le début d’une grande histoire d’amour entre cet ouvrier toujours prêt à lutter pour plus de justice sociale dans son usine et cette jeune femme moderne et émancipée qui travaille dans un journal local. Entourés par leur famille, collègues et amis, Jochen et Marion apprendront à partager ensemble les joies et les difficultés du quotidien…
En 1970, Peter Märthesheimer, Gunther Witte et Günter Rohrbach, tous trois responsables du pôle fiction de la chaîne allemande WDR, lancent deux projets de série, l’une policière et l’autre familiale. Märthesheimer propose de situer cette dernière dans le milieu ouvrier, ce qui constituait une grande nouveauté pour l’époque, les séries ayant habituellement pour héros des gens appartenant à la classe aisée. C’est également Märthesheimer qui suggère le nom de Fassbinder, déroutant les deux autres, en particulier Günter Rohrbach : « Nous voulions rapprocher Fassbinder de la WDR, mais rien de ce qu’il avait pu faire auparavant ne nous permettait d’envisager une fiction réaliste sur des ouvriers. Finalement je me suis laissé convaincre par l’enthousiasme de Märthesheimer et par l’énergie et la volonté de Fassbinder. »
Le tournage de Huit heures ne font pas un jour se déroula entre avril et août 1972. Le premier épisode a été diffusé le dimanche 29 octobre à 20h15, en prime time. La diffusion des quatre autres s’étala sur une période de presque trois mois, du 27 décembre 1972 au 18 mars 1973. Trois épisodes supplémentaires avaient été envisagés mais la série s’arrêta finalement au bout du cinquième, malgré un incroyable taux d’audience – vingt-cinq millions d’Allemands de l’Ouest étaient devant leur poste pour le premier épisode !
Dans cette série en cinq épisodes, Rainer Werner Fassbinder décrit le quotidien d’une famille de la classe ouvrière en soulignant l’importance de la vie en dehors du travail car, comme l’indique son titre, les huit heures de travail réglementaires ne suffisent pas à remplir une journée.
Première tentative sérieuse à la télévision allemande de combiner critique sociale et divertissement populaire, Huit heures ne font pas un jour aborde avec empathie et humour des problématiques clés telles que la question de la solidarité au travail, le problème des loyers élevés ou du divorce
Autour du couple Jochen et Marion, respectivement interprétés par les formidables Gottfried John et Hanna Schygulla, évoluent une quinzaine de personnages auxquels de nombreux acteurs phare de Fassbinder viennent prêter leurs traits (Irm Hermann, Wolfgang Schenck, Hans Hirschmüller), accompagnés par de « nouveaux venus » comme Luise Ullrich, l’inénarrable grand-mère, et Werner Finck dans le rôle de son compagnon.
Huit heures ne font pas un jour est devenu un véritable phénomène de société lors de sa diffusion, passionnant les familles, créant moult débats entre critiques, intellectuels et ouvriers. Première incursion de Fassbinder dans l’univers de la série télévisée avant Le Monde sur le fil et Berlin Alexanderplatz.
D’aucuns ont pu reprocher à Fassbinder ses personnages d’ouvriers très éloignés de la réalité ou, du moins, de la représentation que les gens se faisaient des ouvriers. En effet, le cinéaste souhaitait s’affranchir du réalisme pur et dur pour offrir une fiction plus stylisée. Son objectif n’était pas de montrer le quotidien tel que vécu par les ouvriers, au risque de tomber dans le piège du misérabilisme. Au contraire, Fassbinder voulait que chaque spectateur puisse s’identifier aux protagonistes : des gens sérieux dans leur travail mais dotés d’une vie sociale et familiale. Ce décalage entre réalité et fiction a provoqué de nombreux débats, certains reprochant au réalisateur de n’avoir volontairement pas montré les dures conditions de vie des ouvriers et la souffrance au travail. À travers les personnages de Jochen, Franz, Giuseppe et consorts, Fassbinder met en avant l’importance de la solidarité chez les travailleurs, et adopte ainsi un point de vue volontairement optimiste. Pour lui, le but de la série est d’encourager les gens à être acteurs de leur vie, prouvant que le monde peut être changé pour peu que l’on s’en donne les moyens. De fait, Huit heures ne font pas un jour est indissociable de son époque, car porté par un mouvement de remise en question des valeurs conservatrices de l’après-guerre, de rejet de la normalité et d’aspiration à de nouvelles libertés. Car la série ne se cantonne pas au seul milieu ouvrier, il parle aussi de l’émancipation des femmes, des nouvelles méthodes d’éducation, des nouveaux concepts du vivre-ensemble, notamment vis-à-vis des personnes âgées. Toutes les utopies du début des années 1970 deviennent non seulement visibles mais concrètes dans Huit heures ne font pas un jour, y compris ses illusions. C’est en cela que la série de Fassbinder est un formidable témoignage de ce à quoi aspirait la société allemande à l’époque : le monde dans lequel évoluent Jochen et Marion n’est certes pas le reflet de la vie réelle mais là réside tout l’intérêt et le pouvoir de la fiction… faire l’expérience d’un monde plus ouvert et plus beau qu’il ne l’est en réalité.