Editeur : Montparnasse, septembre 2010. 20 €

 

Suppléments :

  • Ernst Lubitsch, le patron (52 mn). Entretiens de N. T. Binh avec Jean-Loup Bourget, Marc Cerisuelo...
  • Oscar Wilde de la scène à l'écran (7mn)

 

La jeune Lady Windermere vit dans l'insouciance jusqu'au jour où elle apprend que son mari a remis de l'argent à Mme Erlynne, une aventurière au passé scandaleux. Pensant avoir perdu son mari, elle cède alors aux avances de Lord Darlington. Mais Mme Erlynne tente de la décourager dans une erreur qu'elle-même a déjà commise.

Magnifique édition de ce chef d'oeuvre de Lubitsch (voir critique), restauré dans un noir et blanc contrasté, bien plus beau que le sepia qui gâchait, l'an pasé, l'édition de Comédiennes par Arte.

Documentaire de N. T. Binh très instructif grâce aux interventions de spécialistes du cinéastes (Jean-Loup Bourget, Marc Cerisuelo, Jacqueline Nacache..) et des analyses de séquences de Nicolas Saada.

 


Ernst Lubitsch, le patron (52 mn), entretiens de N. T. Binh avec :

Jean-Louis Bourget rapelle que Lubitsch vient d'une famille juive de Galicie, de nationalité russe jusque pendant la grande guerre. Il soulignera ensuite l'artisanat de luxe qui a toujours été celui de Lubitsch recrutant les meilleurs chefs de la photo, costumiers, scénaristes, décorateurs, monteurs. Il est associé très en amont de la production pour aboutir à un objet parfaitement fabriqué pour toucher le plus grand monde possible.

Son père émigre à Berlin dans le quartier de la Konfection. "Le vrai Lubitsch est ailleurs" dira Marc Cerisuelo qui souligne que, en 1919, Madame du Barry ouvre le Berlin palace pour un énorme succès. Son auteur est surnomé le Griffith européen pour les scènes de foules durant les épisodes de la révolution en France. Mais l'essentiel est dans le marivaudage entre Paula Negri et ses différents partenaires.

Lubitsch sera le premier grand réalisateur allemand à faire carrière aux Etats unis. Mary Pickford l'appelle pour la transformer d'enfant super star en femme. Cela nécessitait, dans l'idéologie américaine, un metteur en scène européen. la collaboration se passe mal car Mary Pickford repproche à Lubitsch de s'intéresser moins aux acteurs qu'aux portes ("Des portes, des portes, des portes, toujours des portes"). Le film rencontre néanmoins du succès et Lubitsch trouvera toujours à tourner à la Warner puis à la Paramount et parfois à la MGM.

En 1935, il est la personne la plus importante du studio Paramount où il est le patron de la production par intérim. Lubitsch est un cinéaste de la tradition orale: il raconte l'histoire des pièces qu'il veut adapter et interdit à ses scénaristes de les lire. Marc Cerisuelo, comme Benoît Jacquot, pense que les plus grands cinéastes sont ceux qui sont passés par le muet avant d'arriver au parlant. Il est capable de prendre une pièce très dialoguée d'Oscar Wilde pour en faire un film muet. Son dernier film muet, L'abîme, est un film de montagne historique comme les grands succès allemands de l'époque.

Lors du passage au parlant, Lubitsch importe un genre qui n'est pas américain, l'opérette.

Pour réussir Ninotchka à Hollywood en 1939, au moment où il est interdit de militer, il faut un film européen à Hollywood avec une distribution entièrement européenne

Nicolas Saada souligne que Lubitsch est premier metteur en scène avec Cecil B. DeMille à avoir son nom sur l'affiche comme garant d'une qualité et d'une signature. L'éventail de lady Windermere comporte très peu de cartons d'intertitres, "I love you" avec un plan rapproché puis un plan large. L'homme s'éloigne d'elle et ne se rapproche pas trop de nous, exprimant son impossible amour. L'espace dessine ce qu'il faut raconter.

Lubitsch est un cinéaste de la maîtrise mais pas du contrôle, père de Hitchcock et Renoir. Une fois tout installé, c'est la richesse des rapports humains qui importe. Scène du baiser hors champ dans Illusions perdues, panoramique sur une bouteille un canapé, un sac, de la musique off, Alexander joue au piano, Merle Oberon le regarde, l'écoute, Alexander veut prendre un baiser. Elle se refuse. Elle sort du champ. Il sort du champ. Le cadre reste vide durant une dizaine de secondes. Il revient et se met à jouer du piano dans tous les sens. Commence la scène par un détail, le chien dans le couple, il des devenu tellement indiffèrent à sa femme qu'il la confond avec son chien.

Emmanuel Carrere rapelle que Lubitsch travaille avec ses scénaristes mais jamais tout seul. Après Hans Krely… qui est parti avec sa femme, il travaillera aux Etats-Unis avec Billy Wilder et Charles Brackett et Samsum Rafelson pour neuf films dont Haute pègre, Le ciel peut attendre, Angel et neuf films.

Jacqueline Nacache souligne la double nature de madame Erlynne, mère éplorée, pathétique, qui adore sa fille mais aussi une aventurière intrigante. Sur le champ de course, elle s'expose aux regards, aux jumelles. Permettre à cette société de la regarder et de la condamner pour renvoyer cette société puritaine et mesquine à sa propre hypocrisie. Lubitsch est la maître de la comédie des erreurs. Il travaille autour d'un secret, que certains connaissent et d'autres non. Le spectateur connaît tout, les personnages ne savent pas interpréter ce qui se passe ; ils prennent des images partielles ou incomplètes pour la vérité. Ainsi dans la scène du jardin ou lady Windermere voit Miss Erlynne en train de se faire courtiser par un homme, qu'on ne voit pas car caché derrière un massif, qu'elle prend pour son mari. Aussitôt après, Lubitsch nous montre le point de vue opposé : elle est courtisée par lord auton. Le spectateur est complice, c'est progrès considérable dans le récit filmique.

 

Oscar Wilde, de la scène à l'écran

Conversation avec Geneviève Casile, commédienne qui interprèta Madam Erlynne en 2007 au théâtre. Pièce créée avec succès en 1892 à Londres, adaptée par Fred Paul en 1916 en G.-B.

 

Ciné-club de Caen

 
présentent