Editeur : France Télévisions Distribution, juillet 2013. VF ou VO avec sous-titres français. 15 €

 

Théâtre de la prison de Rebibbia. La représentation de "Jules César" de Shakespeare s'achève sous les applaudissements. Les lumières s'éteignent sur les acteurs redevenus des détenus. Ils sont escortés et enfermés dans leur cellule. Mais qui sont ces acteurs d'un jour ? Pour quelle faute ont-ils été condamnés et comment ont-ils vécu cette expérience de création artistique en commun ? Inquiétudes, jeu, espérances...

Représenter Jules César en 1h16 alors que la version intégrale de la pièce en demande deux fois plus relève bien sur de la performance. Et même de l'exploit car les Taviani le réalise en moins d'une heure. On peut en effet exclure le prologue puisqu'il sera repris, en un peu plus long, lors de la dernière scène de la pièce, et l'exercice d'interprétation qui permet de sectionner les acteurs principaux et secondaires.

La prison de Rebibbia près de Rome étant exclusivement masculine, cet exploit est facilité par l'élimination des rôles féminins de Portia et Calpurnia, les femmes de Brutus et César. Ne sont sélectionnés que quelques passages seulement de chacune des scènes de la pièce dont il ne reste que le squelette épique sans les variations baroques, poétiques et humoristiques qui font la saveur du texte de Shakespeare.

Mais c'est moins la littérature shakespearienne qui intéresse les Taviani que ce qui peut rendre aujourd'hui vivante la dimension épique de son théâtre. A l'anglais, ils substituent non seulement l'italien mais les accents les plus divers des acteurs. Ils retrouvent là une capacité de transmission du théâtre shakespearien à la hauteur du Looking for Richard d'Al Pacino ou du Romeo+ Juliette de Baz Luhrmann.

Le décor de la prison n'apparait jamais artificiel bien au contraire. La couleur violemment rouge du prologue ou des couloirs repeints à neuf où l'on emmène les prisonnier installe dès l'abord la dimension épique du théâtre. Les angles rudes et dépouillés des murs sont magnifiés et simplifié par la photographie en noir et blanc qui leur restitue leur valeur poétique. Au cours du film un seul retour à la couleur : dans une pièce, la grande photo des îles sur la mer se colorise. C'est la nuit sur la prison et les prisonniers clament leur peines (enfermés à cinq avec une diarrhée) et leur douleur.

Comploter pour éliminer la tyrannie de César, c'est aussi échapper à la tyrannie de la prison. Tant est si bien que les effets de réel apparaissent souvent comme superflus (notamment la perfidie que l'interprète de César reproche à l'interprète de Decius). Ils sont heureusement souvent traités sur le mode comique ("Voila où m'a mené la confiance" explique un codétenu, alors que discuter de la météo avant de tuer César rend les personnages proches à un autre) allusif (Les réflexions méprisantes des prisonniers ordinaires ou amusés des gardiens) ou même parfois émouvants (l'amitié de Lucius et Brutus qui partage la même cellule, les découragements de Brutus ou de Marc Antoine).

Loin de la routine carcérale, l'art ouvre au monde à la grandeur. Sans doute faut-il interpréter ainsi la dernière phrase du film où Cassius, prisonnier depuis de nombreuses années, cherche du regard la caméra et nous dit : "Depuis que j'ai connu l'art, cette cellule est devenue une prison".

Jean-Luc Lacuve

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César doit mourir des frères Taviani