Editeur
: Montparnasse, Janvier 2013. Coffret 2 DVD+livre. DVD1 : Chronik
der Anna Magdalena Bach (1967, 1h32). Versions originales allemande,
française (Christiane Lang et Gustav Leonhardt), anglaise (Gisela
Hume), italienne (Rita Ehrhardt), néerlandaise (Margret Schumacher).
Suppléments sur DVD2:
Quelques mois après la mort de sa première femme en 1720, Jean-Sébastien Bach épousa la chanteuse Anna Magdalena Wülken. Prenant pour point de départ la date de son mariage, Anna Magdalena Bach évoque les différentes étapes de la vie du compositeur allemand ; de ses démêlés avec ses nombreux protecteurs, princes et mécènes, jusqu'à sa mort, le 28 juillet 1750.
Edition indispensable pour se saisir enfin d'un des films les plus importants des Straub et sur la façon de filmer la musique au cinéma. Le découpage intégral proposé dans le livret d'accompagnement permet d'obtenir les références musicales et historiques qui permettent d'engager un débat fécond sur l'œuvre. L'intervention de Gilles Deleuze à la Fémis proposée en bonus, aussi émouvante soit-elle, n'est en effet basée que sur un souvenir bien imprécis et extrêmement partiel du film. A l'inverse de l'usage habituel, les Straub souhaitaient que ce soit la musique qui soit au centre du film et que l'image l'accompagne. La musique n'est en effet pas seulement le sujet du film, mais la matière dont il est fait. L'image n'a qu'une fonction d'illustration dans la plupart des longs et beaux moments d'exécution musicale. Ceux-ci valent alors pour eux-mêmes dégagés des fonctions dramatiques illustrant la vie du compositeur comme c'est habituellement le cas. On notera néanmoins que le largo de la sonate en trio est particulièrement bien adapté aux pérégrinations de jeunesse de Bach, que choral Kyrie, "Dieu saint esprit" BWV 671 souligne le triomphe de Bach auprès du conseil de Leipzig ou que le choral pour orgue "Devant ton trône, je parais" BWV668 s'impose pour accompagner la mort de Bach. Le besoin d'authenticité se traduit par le souhait de s'en tenir aux instruments d'époque comme aux documents d'époque et par le choix d'un acteur qui interprète lui-même les extraits musicaux. Tout est filmé en son direct avec micros invisibles. Les douze morceaux musicaux interprétés dans le champ durant de 3 à 7 minutes sont filmés dans un seul plan. Ainsi la grande cadence du concerto brandebourgeois n°5 (plan 1, 3'25" avec travelling arrière), le Magnificat en ré majeur BWV243 (plan 33, 3'6" avec travelling arrière), la cantate BWV205, "Eole apaisé" (plan 37, 5'39" avec travelling avant), l'ode funèbre BWV 198 (plan 39, 4'6", fixe), la musique funèbre BWV 244a (plan 41, 3'8", fixe), La passion selon saint Mathieu BWV 244 (plan 42, 7'24, fixe), la cantate BWV 42 (plan 48, 3'53"), la cantate BWV 215 (plan 57, 3'24", fixe), le choral Kyrie, "Dieu saint esprit" BWV 671 (plan 69, 5'20", travelling avant), l'andante du Concerto dans le goût italien (plan 80, 4'31", fixe), 25e variation Goldberg BWV 988 (plan 85, 4'3", panoramique des mains au visage), la cantate BWV 82 "J'en ai assez" (plan 89, 4'49", travelling avant). Ces douze plans sur les 114 du film représentent un ensemble musical de près de 53 minutes sur les 92 du métrage total. Dans un premier temps, les cinéastes se contentent d'enregistrer les morceaux joués par les musiciens. Après l'extraordinaire souffle de la Passion selon Saint Mathieu, ils raccordent sur un plan de mer, pause méditative après tant d'intensité. Plan qui réapparaîtra une autre fois avant qu'un morceau de Bach soit entièrement monté sur un plan de nature. Signalement de Jean-Marie Straub (Henk de By, 1968,
41 min)
Dans ce documentaire, tourné par Henk de By en 1968, et dont n'était connu jusqu'à présent que la deuxième moitié, les Straub situent leur film très précisément parmi les interrogations politiques de l'Allemagne d'après-guerre et soulèvent les considérations esthétiques qui y sont liées. Gustav Leonhardt évoque lui la genèse du projet, l'idée qu'il a de son "rôle", sa position dans le film et son rapport avec les Straub. JMS affirme que plus un film est particulier enraciné, plus il peut avoir une audience internationale. Plus un film est allemand plus il est international. Si l'on essaie de faire un film international, on fait une chose qui n'a pas d'intérêt...
Gilles Deleuze, Qu'est-ce que l'acte de création
?( 17 mars 1987, 8 min)
Extrait de la conférence à la Femis du 17 mars 1987, 8 min. Gilles Deleuze étudie l'affinité entre l'art et l'acte de résistance. De par le traitement du son, le rapport très indirect entre l'image sonore et l'image visuelle, il présente l'œuvre des Straub comme un acte de résistance. La contre-information ne devient efficace que lorsqu'elle devient acte de résistance. Aucun rapport entre l'uvre d'art et la communication. L'uvre d'art ne contient pas la moindre information mais affinité fondamentale entre l'uvre d'art et l'acte de résistance. Les hommes qui résistent n'ont souvent ni la culture ni le temps pour avoir le moindre rapport avec l'art. Malraux dit "L'art est la seule chose qui résiste à la mort". Il y a là la base d'un assez beau concept philosophique. Une statuette vieille de 3000 ans prouve que la réponse de Malraux est une bonne réponse. Tout acte de résistance n'est pas une uvre d'art et pourtant un peu. Toute uvre d'art n'est pas un acte de résistance et pourtant si d'uen certaine manière. Une idée cinématographique c'est lorsque les Straub opèrent cette disjonction où la voix sonore s'élève ; elle passe sous la terrre déserte que l'image visuelle était en train de nous monter ; image visuelle qui n'avait aucun rapport avec l'image sonore ou qui n'avait aucun rapport direct. Or quel est cet acte de parole qui s'élève dans l'air pendant que son objet passe sous la terre ? C'est un acte de résistance. Et dans toute l'uvre des Straub, l'acte de parole est un acte de résistance, de Moïse au dernier Kafka en passant par Non réconciliés jusqu'à Bach. L'acte de parole de Bach c'est quoi ? C'est sa musique, acte de résistance et de lutte active contre la répartition du profane et du sacré. Et cet acte de résistance culmine dans un cri. Tout comme il y a un cri dans Wozzeck, il y a un cri de Bach : "Dehors", "dehors, allez-vous en je ne veux pas vous voir". C'est l'acte de résistance quand ils mettent en valeur le cri de Bach ou lorsqu'ils mettent en valeur le cri de la vieille schizophrène dans Non réconciliés. Tout ça doit rendre compte de dans tout cela l'acte de résistance a deux faces ; il est humain et c'est aussi l'acte de l'art. Seul l'acte de résistance résiste à la mort soit sous la forme d'une uvre d'art, soit sous la forme d'une lutte des hommes. Et quel rapport y a-t-il entre la lutte de l'uvre d'art et la lutte des hommes ? Le rapport le plus étroit pour moi, le plus mystérieux exactement, ce que Paul Klee voulait dire quand il disait le peuple manque et en même temps ça ne manque pas. Ça ne sera jamais clair l'affinité entre une uvre d'art et un peuple qui n'existe pas encore.
LIVRE (160 pages)
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présentent
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Le Bachfilm
de Danièle Huillet et Jean-Marie Straub
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