Editeur : France Télévision, avril 2008. 20 euros.
Suppléments :
Dans une forêt merveilleuse, au temps des druides, le berger Céladon et la bergère Astrée s'aiment d'amour pur. Leurs familles ne s'entendent pas. Lors de la fête de ses parents, Céladon doit ainsi faire semblant d'aimer Amynthe. Semyre, amoureux d'Astrée, lui fait croire que Céladon succombe trop facilement au charme d'Amynthe et se laisse embrasser sans déplaisir par elle. Le lendemain, Astrée congédie Céladon. Elle lui ordonne de ne plus réapparaître devant ses yeux. De désespoir, Céladon se jette dans une rivière... |
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Les Amours d'Astrée et de Céladon est une adaptation de L'Astrée, roman pastoral d'Honoré d'Urfé, un récit-fleuve de 5 000 pages, dont la première partie fut publiée en 1607. Elle inspira nombre de tableaux vivants pour les fêtes galantes ainsi que les peintres de l'époque. Rohmer coupe dans les quarante histoires et les centaines de personnages (bergers, bergères, druides du Vème siècle) qui sont contenus dans cette oeuvre-clé de l'histoire de la littérature française pour ne conserver que les trajectoires contrariées de Céladon et d'Astrée avant qu'ils ne se retrouvent, les vaines tentatives de séductions de Semyre, Amynthe puis de Galathée et Léonide et enfin les controverse philosophique du XVIIème français sur l'amour et sur la religion. Rohmer annonce dans les cartons introductifs qu'il est très sensible à la beauté de la nature et que c'est à regret qu'il a renoncé au décor d'origine du Forez, aujourd'hui dévasté par les moyens de transports modernes. Il annonce aussi que la pastorale d'Urfé apparaît dès l'origine comme maniérée et artificielle dans sa description des amours des gaulois du Vème siècle. Ces deux soucis de vérité, être au plus près de la nature et accepter le maniérisme du texte semblent indiquer son projet esthétique : redonner une réalité sensuelle à la pastorale par la saisie sensible du réel dont est capable la caméra : filmer tout à la fois une nature souriante avec son herbe grasse, ses fleurs multicolores et ses feuillages d'arbres frémissant dans le vent tout en respectant le texte avec ses sentiments théâtraux mais aussi son humour et sa philosophie. Certains se moqueront de la pauvreté des costumes ou du jeu des acteurs. Il s'agit probablement là d'une réticence à accepter des conventions qu'ils auraient très bien admis sur une scène de théâtre mais pas dans la nature. Or c'est précisément là que se loge l'art d'enchanteur du quotidien de Rohmer. C'est là qu'il appartient toujours à La nouvelle vague qui inscrit son lyrisme forcené dans les avènements les plus quotidiens et les plus banals : un lever de soleil, une marche en forêt, la contemplation d'un tableau et qui se satisfait de l'érotisme simple du dévoilement de la chair lorsqu'il appelle d'irrésistibles baisers pleins d'un désir contenu à grand peine (sur les rochers, la fin). Enchanteurs aussi cette façon de distribuer des surprises esthétiques : poème gravé sur l'arbre ou sur bois à l'entrée du temple, portait d'Astrée sur le médaillon ou en bergère dans le temple, chevelures savantes, simple costume blanc des bergers et bergères. Ce jeu entre l'artificialité d'un texte et la possibilité de l'incarner par le cinéma reste bien plus présent que le principe habituel de la mise en scène de Rohmer basée sur le décalage entre l'imaginaire des personnages et la réalité telle qu'elle peut être saisie par la caméra. Rohmer s'y essaie pourtant avec l'épisode du baiser volé derrière l'arbre. Trop éloignée de Céladon, Astrée n'entend pas les protestations de celui-ci et ne voit que les caresses prodiguées par Amynthe. Mais le lyrisme de la nouvelle vague s'accompagne toujours d'une inquiétude quant à la nature de l'amour. Rohmer s'amuse à en trouver des échos dans le texte d'Urfé. La joute philosophique l'exprime sur un ton ludique : Pour Lycidas, l'amant fidèle de Phillis, l'amour est éternel parce que, en l'autre on aime ce qui est en soi puisqu'en aimant deux être ne font plus qu'un. Hylas, partisan de l'amour libre lui répond qu'au contraire on ne désire que ce qui est hors de soi. Ce à quoi Lycidas réplique que l'autre forme un cercle avec soi et qu'avec ce cercle dynamique l'amour est bouclé, éternel. Hylas lui répond qu'il est donc une femme puisque semblable à Phillis. Lycidas croit vaincre en lui répondant que seules les âmes sont devenues semblables. Hylas lui fait alors la proposition de garder l'âme de Phillis et de lui prêter le reste, son corps, pour voir qui sera le plus heureux. Hylas, merveilleusement interprété par Rodolphe Pauly, est aussi le héros des deux autres épisodes burlesques : le travestissement des commandements de l'amour pur ou sa tentative de séduire celle qu'il croit être la naïve Alexie. Mais l'amour emprunte souvent des chemins bien plus détournés que les positions qui se croient droites et pures d'Astrée et de Céladon. Sous la voix de Céladon se cache celle fragile d'Alexie (merci l'Ircam) qui toujours peut être renvoyée dans l'ombre ou bannie à jamais. Rohmer nous offre ainsi ici une ode à l'éternelle fidélité des amants sans masquer ce qu'un tel message suppose de fragiles équilibres entre nature et artifice, entre droiture du sentiment et refoulé du désir, entre joie simple du quotiden et miracle toujours attendu. Un condensé de son oeuvre en somme.
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France Télévision
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présente
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Les
amours d'Astrée et Céladon d'Eric Rohmer
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