Dans son article paru dans le Télérama consacré à la semaine du 23 janvier, Marine Landrot s'interroge : La critique a-t-elle perdu tout sens critique ? Elle pose le débat en ces termes : Hier genre littéraire et subversif, la critique est devenue le plus souvent un guide pour consommateur de culture.
"Qu'importe les lois du marché : je serai le dernier seul vrai critique"
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Illustration : J.P. Delhomme pour Télérama
Les tenants d'une critique littéraire revendiquent l'adhésion du lecteur au jugement du critique de l'auteur. Ainsi Antoine de Baecque affirme-t-il : "La France a toujours été la fille aînée de la critique. Dans les années 50, 60, 70 officiaient des plumes critiques dont les jugements tombaient avec beaucoup d'influence, et qui ont appris à des lecteurs nombreux comment voir un film. Mais ce temps mythique était d'une grande violence pour les critiques qui souffraient d'une très grande solitude. Jean-Louis Bory et Michel Cournot sont typique de ces hommes de combat qui ont payé de leur personne : le premier a fini par se suicider, et le second s'est réfugié dans la critique théâtrale moins exposée. Et Olivier Assayas de renchérir : " J'ai foi dans le fait que les critiques qui écrivent bien et qui ont du plaisir à le faire seront toujours plus visibles que la vox populi. Je crois en l'avenir de l'écriture journalistique qui s'impose par sa qualité, sa sophistication, sa profondeur "
Critique littéraire, critique praticien ou critique analyste.
Autre modèle de critique, le critique praticien du cinéma. Olivier Assayas regrette le temps où le critique de cinéma était directement témoin de l'art de faire du cinéma. La rédaction des cahiers du cinéma a toujours été pleine de critiques qui écrivaient les mains pleines de cambouis et parlaient de cinéma tout en essayant de réaliser des films. Il déplore la disparition du cheminement dialectique au profit d'une hypertrophie de la position de critique. Aujourd'hui la critique de cinéma est une fin en soi. On ne considère plus que le rapport à la pratique doive éclairer la réflexion. Jamais je ne me suis défini comme critique. Donner des étoiles ou des notes à des films me procure un sentiment de nausée. C'est l'antithèse de ce à quoi je croyais quand j'étais aux cahiers. Pour nous servir de guide au consommateur était le contraire de la raison pour lesquels ont écrivait sur les films. Il y avait même un enjeu à ne surtout pas l'être
Pour Bertrand Leclair, "Etre critique c'est se prononcer sur quelque chose de plus grand que soi. Il n'est donc pas question d'autorité. Comme en justice, tout le monde a le droit de témoigner. Mais tous les témoignages ne se valent pas"
Brigitte Giraud pointe les qualités d'un bon témoignage : "
Lire une critique est généralement frustrant parce que sont
rarement commentés et analysés l'enjeu d'un livre, son positionnement
dans l'histoire de la littérature, les relations qu'ils entretiennent
avec d'autres textes, sa construction, son écriture, la recherche qu'il
entreprend, les risques qu'il met en jeu, le débat d'idées dont
il est porteur. Il arrive cependant que le critique en une phrase, ait le
mot juste, mette le doigt là où se niche le nud ou l'enjeu
du livre chroniqué, que l'écrivain n'avait pas réellement
identifié
Pour atteindre cet idéal, continue-t-elle le critique doit à
la fois lutter contre une certaine subjectivité positive, étouffer
ses propres émotions parasites, oublier les attentes du créateur,
nier celles du spectateur. Cette ascèse analytique est nécessaire
car Marine Landrot le rappelle " Sainte Beuve écrivait dans sa
correspondance en 1845 : En général nos jugements nous jugent
nous-mêmes, bien plus qu'ils ne jugent les choses ".
Chacune des fonctions du critique s'adresse à mon avis à trois publics différents. Le critique littéraire a sa place dans les hebdomadiers non spécialisés dans le cinéma guidera le plus grand nombre vers des films exigeants. Le critique praticien intéresse les cinéastes et ceux qui se destinent à l'être. La critique est ainsi utile à Assayas-cinéaste si elle lui révèle une certaine idée du cinéma dans ses films. Le critique analyste intéressera les cinéphiles. C'est à dire ceux qui, comme moi, cherchent après avoir vu le film ce qu'il y avait à voir.. qu'ils ont vu ou non et qu'ils prendront plaisir à éprouver lors d'une nouvelle vision du film.
En rappelant que critique et crise sont liés par leur étymologie grecque commune, "krienein ", séparer, choisir, décider, Marine Landrot ouvre aussi un autre débat : la critique a-t-elle besoin d'être polémique pour exister ?
Quel territoire pour la polémique ?
En France, tout le monde a deux métiers : le sien et critique de cinéma notait déjà Truffaut. A quoi sert-il donc d'être critique ? Comment distinguer le bon grain de l'ivraie ? Faut-il tenir compte de, l'avis du consommateur ou pratiquer, forage, décodage et mise en perspective. Faut-il dialoguer vainement avec le public ou interroger l'uvre de l'intérieur ?
Pour Antoine de Baecque : "La critique meurt sans faire de bruit, à cause de l'uniformisation des formats d'écriture dans la presse écrite, et de l'espace infini où elle peut se déployer sur Internet, tambour de machine à laver qui fonctionne tout seul. Sa fonction de tribune polémique ne peut plus s'exercer. Avant, la France était l'un des rares pays où le débat d'opinion sur l'art existait. La dernière polémique connue s'est faite autour du fabuleux destin d'Amélie Poulain. En 2001 !Heureusement on trouve encore des îlots de résistance, des sanctuaires où la critique peut encore faire son travail : juger, partager, diviser. "
Assayas voit dans la critique sur Internet du poujadisme post moderne , "Ce ne sont que des gens qui parlent depuis leur balcon à d'autre gens qui veulent bien les écouter ". Il voit dans le ton péremptoire de cette critique la démagogie contemporaine qui voudrait que tout ce qui se dit dans un lieu de pouvoir soit sujet à caution, tandis que le grand n'importe quoi du net serait forcement véridique. Il y a une étrange crédulité à penser que le summum de la liberté c'est de naviguer dans un lieu où la parole n'est pas contrôlée.
C'est pourtant l'un des derniers lieux où la polémique existe encore avec Positif où Michel Ciment ne rate pas une occasion de dézinguer ses confrères quand l'occasion lui en est donnée. Ainsi dans le dernier numéro s'en prend-il à la presse généraliste (Inrock, Télérama, Le monde, Libération) coupable de défendre des uvres d'auteurs "indéfendable " (dont le très beau Visage de Tsai Ming-liang) et de dégoûter ainsi les spectateurs des uvres difficiles bien meilleures. On notera qu'il justifie son jugement critique par le nombre d'entrées (hélas faibles) du film et par le même jugement des Cahiers du cinéma (pour une fois pas inspirés).
Jean-Luc Lacuve (notes retranscrites à partir de mon Télérama avant de m'apercevoir que le texte était en ligne : ici)